Divulgation d’un document interne chinois montrant l’utilisation de mitrailleuses contre les Tibétains lors des manifestations de 2008

mardi 26 août 2014 par Rédaction , Monique Dorizon

Le TCHRD (Tibetan Center for Human Rights and Democracy) présente une analyse d’un document secret chinois concernant les Tibétains tués par les forces de sécurité chinoises lors des manifestations de mars 2008, à Lhassa.
Le document, obtenu récemment par le TCHRD [1], a été rédigé en chinois par le Bureau de la sécurité publique (PSB) de Lhassa sur la base des rapports d’autopsie établis le 21 mars 2008 par le service médical du PSB de Lhassa.
Le TCHRD a recueilli des informations exclusives fournissant la preuve irréfutable que les agents de la sécurité chinoise ont utilisé une force disproportionnée, y compris des balles réelles et des mitrailleuses, pour tuer des Tibétains, pendant les manifestations de mars 2008, dans la capitale tibétaine, Lhassa.

Le document obtenu par le TCHRD renferme une liste de noms de Tibétains tués par les forces de sécurité chinoises et dont les cadavres ont été gardés à Xishan, morgue de Lhassa. Le document officiel se compose également de rapports d’autopsie pour quatre Tibétains. Li Wen Zhen et Wang Zhai Shai, tous deux chefs du service d’examen judiciaire et médical du Bureau de la sécurité publique de Lhassa, ont pratiqué l’autopsie.
Ce document interne a été rédigé le 21 mars 2008 et s’intitule : "Document du service d’examen judiciaire et médical du Bureau de la sécurité publique de Lhassa".
Malgré l’affirmation officielle chinoise du contraire, le document sert de preuve concrète que les forces de sécurité chinoises ont tué des Tibétains en différents lieux de la ville de Lhassa, au cours des premières manifestations de mars 2008 qui ont ensuite déclenché le soulèvement de 2008 dans une grande partie du plateau tibétain.

I. La déclaration que les armes létales n’ont pas été utilisées est un mensonge
Après le soulèvement de masse des Tibétains contre le régime chinois en 2008 [2], de nombreux Tibétains du Tibet ont donné des informations aux médias internationaux sur la mort donnée à grande échelle à des manifestants tibétains par les forces de sécurité chinoises armées de mitrailleuses et de véhicules blindés.
De même, lors d’une visite de journalistes étrangers et de diplomates étrangers, le 27 mars 2008, au temple du Jokhang à Lhassa, un groupe de moines ont témoigné de la répression chinoise en réfutant la propagande officielle, les larmes aux yeux, en public et à leurs risques [3]. Un des moines a même dit avoir vu le corps d’un Tibétain abattu par les forces de sécurité chinoises.

Cependant, lors d’une conférence de presse chinoise officielle organisée le 17 mars 2008 à Pékin, Jampa Phuntsok, alors Gouverneur de la "Région Autonome du Tibet" (RAT), a déclaré : "Au cours de ce mouvement de casse et de pillages, les forces de sécurité (Bureau de la sécurité publique et de la Police armée populaire) n’ont pas fait usage d’armes létales. Elles n’ont jamais tiré sur les manifestants". En outre, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois, Qin Gang, et le porte-parole du Bureau central de la Sécurité publique, Tian Hai Mien et d’autres responsables chinois ont également déclaré à la presse chinoise et étrangère que les armes létales n’avaient pas été utilisées contre les manifestants à Lhassa, et qu’ils avaient usé de toute la retenue possible en traitant avec les manifestants.
Le document officiel en possession du TCHRD raconte une histoire différente. Il comporte les noms des Tibétains, morts lors de la manifestation de mars 2008. 22 Tibétains décédés ont été maintenus à Xishan, morgue de Lhassa, en plus de quatre autres Tibétains, dont les rapports d’autopsie ont été inclus dans le document interne. Le nombre total de morts, selon ce seul document, est de 26. Parmi eux, 15 sont morts des suites de blessures par balles, dont 11 ont été confirmés comme Tibétains, tandis que l’identité des 4 autres reste inconnue pour le moment. Le document contient des informations non seulement sur les Tibétains morts, mais aussi où et quand ils ont été tués, les lieux où leurs corps ont été retrouvés.
La plupart des Tibétains ont été tués le 14 mars 2008, dans les endroits tels que l’intersection de la 2e Rue Lubug, le Temple de Ramoché, la maison d’hôtes Ching Phin, la cinquième division de l’usine de construction près du Temple de Ramoché, l’Hôpital Goten pour les nonnes au Barkor, près de Tengyeling, Gaden Khangsar, et sur la rue en face de la maison d’hôtes Serkhang dans la Rue de Pékin.
Les rapports d’autopsie de quatre Tibétains montrent que l’un d’eux portait 17 blessures par balle tandis que deux femmes en montraient respectivement 15 et 8. La plupart des blessures par balle ont été retrouvées aux cœur, poitrine et pieds. Tout cela prouve que les forces de sécurité chinoises ont utilisé des mitrailleuses tout en traitant avec les manifestants pacifiques.

II. Manipuler les noms des Tibétains abattus en signe de protestation
Le 1er avril 2008, vers 16 heures, la direction du PSB de la République populaire de Chine a organisé une conférence de presse au cours de laquelle le chef adjoint du PSB, Wu Yi Phen, a publié les noms de certains Tibétains qui auraient été impliqués dans des incendies volontaires contre des boutiques, y compris 12 personnes ayant péri dans l’attaque ainsi que la mort de six autres personnes innocentes pendant la manifestation du 14 mars 2008, à Lhassa.
Leurs identités, selon le PSB, étaient : He Jian Shu, Chinois de 60 ans, du Sichuan ; Gao Mou, Chinois de 30 ans, originaire du Gansu ; Lhakpa Tsering, Tibétain de 30 ans, de la municipalité de Lhassa ; Wangdu Dargay, Tibétain de 24 ans, du comté de Damshung, Lhassa ; et deux autres personnes, dont la nationalité n’a pas été prouvée.
Selon le chef adjoint de la direction du PSB, les six personnes innocentes mentionnées ci-dessus sont mortes dans des incendies criminels. Mais, selon le document interne secret en possession du TCHRD, Lhakpa Tsering a succombé à des blessures par balle. Il a été abattu le 14 mars 2008 à l’intersection de la 2e Rue Lubug. Son corps a été retrouvé à 17 heures, le 17 mars 2008, dans une maison située 11e Avenue, 2ème Rue Lubug. De même, le document montre que Wangdu Dargye a également succombé à des blessures par balles, le 14 mars 2008 ; le lieu où il a été abattu demeure inconnu. Mais le document mentionne explicitement que son corps a été retrouvé vers 12h10, le 16 mars 2008, dans la 5ème division de l’usine de construction, près du temple de Ramoché.
Le document fait également référence à deux hommes qui ont été abattus, mais leur nationalité reste inconnue. Toutes les informations révélées dans le document secret confirment le meurtre de manifestants tibétains par les forces de sécurité chinoises, et dévoilent les tentatives du gouvernement chinois d’attribuer la violence observée au cours des manifestations de mars 2008 sur le peuple tibétain. En bref, le gouvernement chinois a fait usage de toutes sortes de propagande et de mensonges, à la fois dans les médias nationaux et internationaux, en utilisant des séquences vidéo et des photos de Tibétains cassant des voitures de police et des fenêtres de maisons, afin de manipuler l’opinion publique nationale et internationale et présenter ainsi le soulèvement tibétain comme violent.

III. Les faits montrent que la police a tué au moins cent Tibétains
Après l’arrêt des manifestations de mars 2008 à Lhassa, le gouvernement chinois a déclaré que 382 personnes et 242 agents de sécurité avaient été blessés, et que ces blessures avaient été causées par les actes "illégaux" des manifestants. Ce que le gouvernement chinois n’a pas révélé était le nombre de manifestants morts du fait des forces de sécurité.
Lors d’une visite au temple du Jokhang à Lhassa de journalistes et de fonctionnaires des ambassades étrangères à Pékin [4], un groupe de moines tibétains a ouvertement déclaré que toutes les déclarations venant du gouvernement chinois étaient sans fondement et mensongers, et que plus d’une centaine de Tibétains avaient été tués et mille autres arrêtés.
Dans l’après-midi du même jour, Pema Thinley, alors Secrétaire adjoint du parti de la "Région Autonome du Tibet", tout en parlant à des journalistes de Hong Kong, avait dit : "Je vais vous expliquer en pleine responsabilité. Jusqu’à présent, trois criminels sont morts, certains d’entre eux tout en voulant échapper à l’arrestation ont sauté des toits, et sont morts rapidement après avoir été hospitalisés. Certains des criminels ont été blessés, alors quels que soient les dires des moines, tout cela est sans fondement et faux".
Ce document interne obtenu par le TCHRD porte quatre nombres : 92, 93, 94, 101. Les numéros ont été utilisés pour identifier chacun des quatre Tibétains autopsiés. Un examen critique des quatre chiffres confirme les déclarations faites aux journalistes et fonctionnaires des ambassades étrangères par les moines du temple de Tsuglakhang à Lhassa : pas moins de 101 Tibétains ont été massacrés par les forces de sécurité chinoises lors de l’insurrection de 2008. Lors d’une conférence de presse organisée par l’Administration Centrale Tibétaine (CTA) à Dharamsala (Inde), Thubten Samphel, alors secrétaire du Département de l’Information et des Relations Internationales du CTA avait dit que de mars 2008 à janvier 2009, plus de 220 Tibétains avaient été battus à mort par les forces de sécurité au Tibet. Il avait également déclaré que près de 1 294 Tibétains avaient été blessés, environ 5 600 arrêtés, et plus de 219 avaient disparu.

IV. Exécutions extrajudiciaires : les Tibétains tués lors d’arrestations et d’interrogatoires
Le 12 décembre 2011, le Département de l’information et des relations internationales de l’Administration Centrale Tibétaine a publié des séquences vidéo d’équipes d’intervention de la police et de troupes paramilitaires effectuant des raids dans les maisons de Tibétains et les arrêtant, en mars 2008 dans la municipalité de Dogde, près de Lhassa.

Les équipes chargées des raids comprenaient les forces de sécurité chinoises et le personnel de la police du PSB, la Police armée du peuple, des forces spéciales et des troupes de sécurité aux frontières, toutes avec des mitrailleuses, des matraques électriques et autres armes d’assaut. Ils ont également utilisé des chiens au cours des raids lorsque des Tibétains soupçonnés d’avoir participé aux manifestations de 2008 ont été arbitrairement arrêtés à leur domicile. Les séquences vidéo ont montré les forces de sécurité battant et agressant brutalement les Tibétains.

Le document secret acquis récemment par le TCHRD révèle également des informations sur le meurtre d’un autre Tibétain, vers 20 heures, le 16 mars 2008. Les rapports d’autopsie, sur lesquels s’appuie le rapport secret, montrent que le mort, mesurant 1,70 m, était originaire du Village n° 2 de la municipalité de Dogde, près de Lhassa, et qu’il est mort après avoir été touché à la taille, juste au-dessus des fesses, et que les balles sont ressorties à l’avant de sa taille. La vidéo qui a été publiée par le CTA et le rapport d’autopsie sur le Tibétain décédé de Dogde, soulèvent des soupçons légitimes sur l’utilisation par les forces de sécurité chinoises de fusillades et d’une force disproportionnée.

V. Echec du gouvernement chinois pour tenir compte de ses crimes au Tibet
Depuis les manifestations de 2008, le gouvernement chinois a intensifié sa répression sur le peuple tibétain, déployant ses forces de sécurité dans toutes les régions du Tibet en particulier à Lhassa, Kardzé [5], Drango [6], Sertha [7], afin d’intensifier la répression et la surveillance. Selon le rapport annuel de 2008 du TCHRD, pendant les manifestations de 2008, au moins 120 Tibétains connus ont été tués, plus de 6 500 arrêtés et plus de 190 condamnés à des peines de prison. Non seulement le gouvernement chinois a refusé d’admettre des exécutions extrajudiciaires et des arrestations arbitraires, mais il a développé une offensive de propagande attribuant toute la violence au Dalaï Lama et aux Tibétains en exil.
Comme l’a déclaré le Premier ministre chinois de l’époque, Wen Jiabao, lors d’une conférence de presse : "Les émeutes ont été systématiquement incitées par la clique du Dalaï, et nous avons la preuve concrète pour le prouver". Bien que toute l’accusation ait été portée sur le Dalaï Lama, les Tibétains en exil et les partisans de la cause tibétaine, le gouvernement chinois n’a pas réussi à produire des preuves concrètes que les manifestations aient en effet été provoquées par le Dalaï Lama et les Tibétains en exil.

Source : Tibetan Centre for Human Rights and Democracy, 20 août 2014, Phayul, 21 août 2014.

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[1] Ce document secret a été sorti illégalement du Tibet par un Tibétain arrêté pour sa participation dans les manifestations de 2008 et traduit du chinois par le TCHRD.

[2] Voici un récapitulatif des articles publiés pour le seul mois suivant les événements de mars 2008 :
- "Manifestations et nombreuses arrestations à Lhassa", du 10/03/2008 ;
- "Gaz lacrymogènes contre les moines du monastère de Sera", du 11/03/2008 ;
- "Multiplication des troubles et des manifestations dans les monastères", du 13/03/2008 ;
- "Escalade de la violence au Tibet - Historique", du 14/03/2008 ;
- "Répression en cours à Lhassa", du 14/03/2008 ;
- "Principales manifestations anti-chinoises au Tibet (Historique depuis 1955)", du 14/03/2008 ;
- "Informations en provenance de Lhassa", du 15/03/2008 ;
- "Nouvelles manifestations au monastère de Labrang", du 15/03/200/ ;
- "Manifestations à Ngaba", du 15/03/200/ ;
- "Nouvelles de Lhassa et Lithang, 15 mars", du 15/03/200/ ;
- "Nouvelles de la région de Ngaba 16 mars", du 16/03/200/ ;
- "Manifestation au monastère de Rebkong", du 16/03/200/ ;
- "Les autorités chinoises promettent d’abattre la rébellion", du 16/03/2008 ;
- "Le Dalaï Lama veut une enquête et condamne un "régime de la terreur", du 16/03/2008 ;
- "De nombreux enlèvements à Lhassa lors de raids des forces de sécurité en pleine nuit", du 16/03/200/ ;
- "Manifestation d’étudiants à l’est du Tibet", du 16/03/200/ ;
- "Manifestations dans la Province de Gansu", du 16/03/200/ ;
- "Nouvelles de Lanzhou, Pékin et Aba (Ngaba), 18 mars", du 18/03/200/ ;
- "Une charge de Tibétains à cheval dans l’ouest de la Chine", du 19/03/200/ ;
- "Manifestation à Kardze : au moins trois Tibétains tués", du 19/03/200/ ;
- "Poursuite des manifestations à l’est du Tibet, étudiants contraints à Pékin", du 21/03/200/ ;
- "Tibet : combien de victimes ?", du 21/03/2008 ;
- "Communiqué de Sa Sainteté le Dalaï Lama", du 24/03/2008 ;
- "Quelques chiffres de la répression", du 26/03/200/ ;
- "Voyage de diplomates étrangers au Tibet encadré par les autorités chinoises", du 28/03/2008 ;
- "Plus d’une centaine de moines arrêtés au monastère de Ngaba Kirti (Sichuan)", du 29/03/200/ ;
- "Nouvelle manifestation à Lhassa le 29 mars", du 29/03/200/ ;
- "Tentative d’intimidation dans les monastères", du 30/03/200/ ;
- "Dharamsala rejette les accusations d’être à l’origine des manifestations à Lhassa et demande une enquête", du 31/03/2008 ;
- "Plus de 2300 personnes auraient été arrêtées au Tibet", du 06/04/2008.

[3] Voir l’article "Des moines perturbent l’opération de communication chinoise", du 27/03/2008.

[4] Voir l’article "Des moines perturbent l’opération de communication chinoise", du 27/03/2008.

[5] Kardzé (དཀར་མཛེས་ en tibétain, Ganzi ou 甘孜 en chinois), parfois écrit Garzé, est situé dans la région tibétaine du Kham, actuelle province chinoise du Sichuan. Localiser Kardzé (Garzé) sur cette carte.

[6] Drango, parfois écrit Drakpo ou Draggo, (བྲག་འགོ་ en tibétain, Luhuo, 炉霍县 en chinois), est un district administratif de la "Préfecture autonome tibétaine" de Kardzé. Repérer Drango (Luhuo) sur cette carte.

[7] Sèrtar (ou Serthar), (གསེར་ཐར་ en tibétain, Séda ou 色达县 en chinois) est un district de la "Préfecture Autonome tibétaine de Kardzé", dans la région tibétaine du Kham, actuelle province chinoise du Sichuan.
Localiser Sèrtar sur cette carte.


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