On choisit Berlin, en 36, pour tenter de faire revenir l'Allemagne à la raison. Le résultat fut désastreux.
| Et si, grâce aux Jeux olympiques, la Chine se démocratisait? L'idée est très en vogue à moins d'un mois de la désignation de la ville qui accueillera, en 2008, le plus grand événement planétaire. A défaut de pouvoir contester un palmarès accablant en matière de violation des droits de l'homme, ceux qui poussent la candidature de Pékin tentent ainsi de transformer le plomb en or.
Reconnaissons-le: l'entreprise est habile. L'argument consistant à répéter que la venue en Chine d'athlètes, de spectateurs et de journalistes du monde entier obligera le régime en place à lâcher du lest et ouvrira un espace aux femmes et aux hommes de ce pays qui, courageusement, veulent y faire respecter les droits fondamentaux de la personne humaine; cet argument ne laisse pas insensible. Pas seulement ceux qui ont d'ores et déjà décidé de faire ce choix et trouveront là un alibi moral à un vote qui en manque totalement. Mais également ceux - et ils sont les plus nombreux - qui répugnent sincèrement à cautionner une réalité humaine insupportable, et peuvent légitimement se demander: et si, grâce aux Jeux olympiques, la Chine se démocratisait?
La question n'est pas nouvelle. Elle s'est déjà posée aux membres du CIO en 1932 en des termes très proches: et si, grâce aux Jeux olympiques, l'Allemagne qui venait de porter Hitler au pouvoir revenait à la raison? Le choix de Berlin, ville-hôte des Jeux de 1936, s'imposa à partir de cette fragile hypothèse. Le résultat fut désastreux. Pourtant, là aussi, des garanties avaient été données à la communauté internationale que tout se passerait bien. En 1933, le président du CIO reçut de Hitler en personne la promesse que les principes de la charte olympique seraient respectés. Et là encore, pour faire bonne figure, le IIIe Reich décida de maintenir à son poste, «malgré ses origines juives», le président du Comité olympique allemand, Théodore Lewald. Ces gestes de propagande préparaient la mise en linceul de l'olympisme: pendant que les Jeux de Berlin donnaient lieu à une opération de promotion du régime nazi, ce dernier déchaînait son antisémitisme et accentuait son offensive militaire belliqueuse en Europe.
La question s'est de nouveau posée, en d'autres termes et dans un contexte différent, lors de la désignation du pays organisateur de la Coupe du monde de football de 1978: et si, grâce au Mondial, l'Argentine, dirigée alors d'une main de fer par une junte militaire, se démocratisait? La réponse prit les forme que l'on sait: arrestations massives, disparitions par milliers, tortures des opposants, manifestations interdites, presse muselée, et sourire en mondovision du général-dictateur Vidella, le jour où l'équipe au maillot bleu et noir triomphait dans son stade de Buenos Aires.
La question s'est posée au moment d'attribuer à Moscou l'honneur de recevoir la grande fête mondiale des cinq anneaux. Et si, grâce aux Jeux olympiques de 1980, ce qui était encore l'Union soviétique se démocratisait? Malgré les internements arbitraires et l'absence flagrante de liberté d'opinion, beaucoup y ont cru. D'autant que le pouvoir brejnévien ne fut pas avare de paroles rassurantes. Ce qui n'a nullement empêché les chars de l'armée Rouge d'envahir un pays souverain un an avant la tenue des Jeux, prenant ainsi le risque insensé d'un boycott qui n'a d'ailleurs pas manqué de se produire.
L'histoire est têtue. Si elle ne se répète jamais, il arrive qu'elle bégaye avec insistance. On a beau chercher dans le siècle écoulé, on ne trouve pas un seul exemple de régime sanglant ou de dictature contraint de se convertir à la démocratie par la grâce de Jeux olympiques ou d'une Coupe du monde de football. C'est même l'inverse qui s'est produit et a gravement entaché l'honneur et la crédibilité des institutions sportives. Car, placés dans l'obligation d'offrir au monde une image présentable, ces régimes brutaux n'obéissent qu'à une seule logique: museler tout ce qui pourrait troubler l'opération de ravalement d'une façade. Avons-nous donc oublié qu'en 1993, quelques semaines avant le choix de la ville hôte des Jeux de 2000, les autorités chinoises libérèrent de prison quelques opposants... pour les y renfermer dès le lendemain d'un vote défavorable à Pékin? Avons-nous oublié que Shan Chengfeng, épouse d'un dissident chinois emprisonné, a été récemment condamnée à deux années de «rééducation par le travail», pour avoir osé écrire une lettre ouverte au CIO demandant la libération des prisonniers de conscience?
Que l'on ne se méprenne pas: il ne s'agit pas ici de nier le rôle positif que peuvent jouer les grands événements sportifs en faveur de la paix, de la démocratie, du rapprochement entre les peuples. Il est même tout à l'honneur du CIO d'avoir accepté la présence aux Jeux d'athlètes palestiniens bien avant la reconnaissance de leur Etat, ou d'avoir permis aux délégations coréennes du Nord et du Sud de défiler ensemble derrière le même drapeau lors des Jeux de Sydney. Et surtout, nous n'oublions pas que le mouvement olympique international a pris une part active à la campagne d'isolement de l'Afrique du Sud pour mettre fin à l'odieux régime d'apartheid.
Mais précisément, dans ces circonstances, le CIO et la plupart des fédérations sportives internationales ne cédèrent pas à ceux qui prétendaient qu'accepter la présence d'athlètes sud-africains dans les compétitions internationales ferait évoluer dans le bon sens le pouvoir en place. C'est au contraire une attitude ferme et résolue de la communauté internationale, y compris de sa composante sportive, qui a permis d'en finir avec un régime qui bafouait les droits essentiels de millions de personnes.
Tous ces rappels valent leçon: si, le 13 juillet prochain, le choix se porte sur Pékin, c'est l'avenir même de la plus belle manifestation sportive et humaine qui est en danger. Face à ce risque, la mémoire tient lieu d'espérance.
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