Visite du Dalaï Lama au Parlement européen à Bruxelles, 4 décembre 2008

mardi 18 août 2009 par Rédaction , Bureau du Tibet, Paris

Le Dalaï Lama au Parlement européen, décembre 2008. Sur invitation du Parlement européen, Sa Sainteté le Dalaï Lama s’est rendu à Bruxelles au début décembre 2008. Il a rencontré son Président, l’Allemand Hans Gert Pottering ainsi que les dirigeants de tous les groupes politiques représentés au Parlement.

Il s’agit de sa quatrième visite au Parlement européen qui l’a accueilli pour la première fois en juin 1988 lorsque le Plan en cinq points pour résoudre le problème du Tibet y fut exposé.
En octobre 1996, à Strasbourg, il a rencontré officiellement M. Klaus Hansch, président du Parlement européen, et a pu s’adresser à la Commission des affaires étrangères.
C’est en octobre 2001 que pour la première fois, il a pu s’adresser à l’assistance réunie dans l’hémicycle du Parlement à Strasbourg et a rencontré sa Présidente, Mme Nicole Fontaine.

Source photo : Parlement européen


Discours au Parlement européen
par Sa Sainteté le XIVème Dalaï Lama
à Bruxelles, le 4 décembre 2008.

Votre Excellence, M. le Président, Honorables membres du Parlement, Mesdames et Messieurs,

C’est un grand honneur de parler devant vous et je vous remercie de votre invitation. Où que j’aille, mon principal intérêt et mon engagement premier sont la promotion des valeurs humaines, telles que l’affection - que je considère comme le facteur clé d’une vie heureuse tant aux niveaux individuel et familial que collectif. De nos jours, il semble qu’une attention insuffisante soit prêtée aux valeurs intérieures. Les promouvoir constitue donc mon engagement numéro un.

Mon second engagement le plus important, c’est la promotion de l’harmonie entre les religions. Nous acceptons le besoin de pluralisme en politique et en démocratie mais nous semblons souvent plus hésitants quant à la pluralité des fois et des religions. Malgré leurs différents concepts philosophiques, les traditions religieuses majeures portent le même message d’amour, de compassion, de tolérance, de contentement et de maîtrise de soi. Elles ont également en commun le potentiel d’aider les êtres humains à mener des vies plus heureuses. Ces deux objectifs constituent mes engagements les plus forts.

Bien sûr, le problème du Tibet me concerne tout particulièrement et j’ai une responsabilité spécifique à l’égard du peuple tibétain, qui continue de placer en moi ses espoirs et sa confiance en cette très difficile période de notre histoire. Le bien-être du peuple tibétain est ma constante préoccupation et je me considère comme son libre porte-parole en exil.

La dernière fois que j’eus le privilège de m’adresser au Parlement européen (PE), le 24 octobre 2001, j’ai déclaré : "malgré quelques développements et progrès économiques, le Tibet continue de faire face à des problèmes de survie fondamentaux. Les violations sérieuses aux Droits de l’Homme sont répandues dans tout le Tibet et sont souvent le résultat de politiques de discriminations raciales et culturelles. Malgré tout, elles sont seulement les symptômes et les conséquences d’un problème plus profond. Les autorités chinoises voient la culture et la religion distinctes du Tibet comme la source d’une menace de séparation. De ce fait, un peuple entier avec sa culture et son identité uniques font face à la menace d’extinction résultant de politiques délibérées".

Depuis mars de cette année [1], des Tibétains de tous milieux, à travers tout le plateau tibétain, ont manifesté contre les politiques discriminatoires et oppressives des autorités chinoises au Tibet. Avec la pleine conscience du danger imminent pour leurs vies, des Tibétains de tout le Tibet appelé aussi Tcheulkha-Soum (U-Tsang, Kham et Amdo), jeunes et vieux, hommes et femmes, moines et laïcs, croyants et non-croyants, y compris des étudiants, se sont rassemblés spontanément et courageusement pour exprimer leur angoisse, leur mécontentement et leurs doléances authentiques vis-à-vis des politiques du gouvernement chinois. J’ai été profondément attristé par la perte de vies humaines, tibétaines et chinoises, et j’ai immédiatement appelé les autorités chinoises à la retenue. Comme les autorités chinoises m’ont accusé d’orchestrer les récents événements au Tibet, j’ai appelé de façon répétée à ce qu’une investigation en profondeur soit diligentée par un comité indépendant et internationalement reconnu, que j’invite aussi à Dharamsala, en Inde. Si le gouvernement chinois dispose de la moindre preuve pour soutenir ses allégations, il doit la révéler au monde.

Malheureusement, les autorités chinoises ont eu recours à des méthodes brutales pour gérer la situation au Tibet, malgré les appels de plusieurs dirigeants du monde, d’ONG et de personnalités de stature internationale pour éviter la violence et montrer de la retenue. Durant les évènements, un grand nombre de Tibétains ont été tués, des centaines blessés et emprisonnés. Nombreux sont ceux dont le sort reste inconnu. Alors que je me tiens devant vous, il y a dans plusieurs régions du Tibet une forte présence policière et militaire. Dans plusieurs endroits, les Tibétains continuent de souffrir à cause d’une situation de loi martiale de fait. Il y a une atmosphère d’angoisse et d’intimidation. Les Tibétains au Tibet vivent constamment avec la peur d’être le prochain arrêté. Compte tenu de l’interdiction faite aux observateurs internationaux, aux journalistes ou même aux touristes de se rendre dans plusieurs régions du Tibet, je suis profondément inquiet du sort des Tibétains. Actuellement, les autorités chinoises ont la main complètement libre au Tibet. C’est comme si les Tibétains faisaient face à une peine de mort, une peine visant la destruction de l’esprit du peuple tibétain.

Plusieurs honorables membres du PE connaissent mes efforts constants pour parvenir à une solution mutuelle acceptable au problème tibétain, à travers le dialogue et la négociation. Dans cet esprit, au PE à Strasbourg, en 1988, j’ai présenté une proposition formelle de négociation qui n’appelle pas à la séparation et à l’indépendance du Tibet. Depuis lors, nos relations avec le gouvernement chinois ont connu diverses fortunes. Après une interruption de près de dix ans, [2] en 2002 nous avons établi à nouveau un contact direct avec les dirigeants chinois. Des discussions importantes ont eut lieu entre mes envoyés et des représentants du gouvernement chinois. Dans ces discussions nous avons clairement exposé les aspirations du peuple tibétain. L’essence de mon approche de la voie médiane est d’assurer une autonomie véritable pour le peuple tibétain, dans le cadre de la constitution de la République populaire de Chine (RPC).

Durant le 7ème round de discussions à Pékin, [3] les 1er et 2 juillet de cette année, la partie chinoise nous a invités à présenter nos vues sur l’autonomie véritable. En conséquence, le 31 octobre 2008 nous avons présenté au gouvernement chinois le Mémorandum pour l’autonomie réelle du peuple tibétain. Notre mémorandum présente notre position sur l’autonomie véritable et comment les besoins primaires de la nation tibétaine pour cette autonomie peuvent être satisfaits. Nous avons présenté ces suggestions avec le seul objectif de faire un effort sincère pour régler les problèmes réels au Tibet. Nous étions confiants qu’avec de la bonne volonté, les solutions présentées dans notre mémorandum pouvaient être mises en œuvre.

Malheureusement, la partie chinoise a rejeté notre mémorandum dans sa totalité, stigmatisant nos suggestions comme une tentative de "semi-indépendance" et "d’indépendance déguisée" et, pour cette raison, inacceptables. De plus, la partie chinoise nous accuse de "nettoyage ethnique" parce que notre mémorandum appelle à la reconnaissance du droit des régions autonomes "de réguler la résidence, l’installation, l’emploi ou les activités économiques des personnes qui souhaitent venir dans des régions tibétaines et provenant d’autres régions de la RPC".

Nous avons clairement exposé dans notre mémorandum que notre intention n’est pas d’expulser des non-Tibétains. Notre inquiétude est le mouvement de masse mis en œuvre, en premier lieu de Hans, mais aussi d’autres nationalités, dans plusieurs régions tibétaines qui marginalise la population autochtone tibétaine et menace l’écosystème fragile du Tibet. Les changements démographiques majeurs qui résultent d’une immigration massive conduiront à l’assimilation plutôt qu’à l’intégration de la nationalité tibétaine dans la RPC et, graduellement, à l’extinction de la culture distincte et de l’identité du peuple tibétain.

Le cas des populations de la Mandchourie, de la Mongolie intérieure et du Turkestan oriental sont des exemples pertinents des conséquences dévastatrices d’un transfert massif de population han majoritaire vers des zones aux ethnies minoritaires. Aujourd’hui, la langue, l’écriture et la culture du peuple mandchou ont disparu. Et en Mongolie intérieure, aujourd’hui, seuls 20% sont d’origine mongole sur une population totale de 24 millions.

Malgré les déclarations contraires de certains officiels chinois tenant d’une ligne dure, nous avons répondu sincèrement aux inquiétudes du gouvernement chinois s’agissant de la question de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la RPC. Le mémorandum, dont nous vous remettons une copie, l’explique parfaitement. Vos commentaires et vos suggestions sont les bienvenus.

Je profite de cette opportunité pour solliciter les bons offices de l’Union européenne et du Parlement : ne ménagez pas vos efforts pour convaincre le gouvernement chinois de résoudre le problème du Tibet par des négociations sincères, pour le bien commun des peuples tibétain et chinois.

Bien que je rejette fermement l’emploi de la violence comme moyen, dans notre combat, nous avons certainement le droit d’explorer toutes les autres options politiques qui nous sont disponibles. Dans un esprit démocratique, j’ai appelé à une réunion spéciale des Tibétains en exil pour discuter de l’état du peuple tibétain, du problème du Tibet et de la conduite future de notre mouvement. La réunion a eu lieu du 17 au 22 novembre 2008 à Dharamsala, en Inde. Le manque de réponse positive du gouvernement chinois à nos initiatives a renforcé la suspicion de nombreux Tibétains, qui considèrent que le gouvernement chinois n’a aucun intérêt à trouver une solution mutuellement acceptable. Ils continuent de croire que le gouvernement chinois est résolu à une assimilation forcée et complète et à une absorption du Tibet par la Chine. Du coup, ils appellent à une complète indépendance du Tibet. D’autres défendent le droit à l’autodétermination et à un référendum au Tibet. En dépit de ces différents points de vue, les délégués ont unanimement décidé de me donner le pouvoir de décider de la meilleure approche, en accord avec la situation du Tibet, de la Chine et du monde et des changements qui interviennent.

Je vais étudier les suggestions faites par 600 leaders et délégués des communautés tibétaines dans le monde, y compris les vues que nous pouvons rassembler de Tibétains au Tibet.

Je suis un ardent défenseur de la démocratie. En conséquence, j’ai constamment encouragé les Tibétains en exil à suivre le processus démocratique. Aujourd’hui, la communauté de réfugiés tibétains fait partie des rares communautés de réfugiés qui ont établi les trois piliers de la démocratie : le législatif, le judiciaire et l’exécutif. En 2001, nous avons franchi une grande étape dans le processus de démocratisation en élisant par suffrage direct le Premier ministre du Kashag (le cabinet de l’administration tibétaine en exil).

J’ai toujours soutenu que le peuple tibétain devait, en dernier ressort, décider du futur du Tibet. Comme l’a dit le Pandit Nehru, Premier ministre de l’Inde, devant le Parlement indien le 7 décembre 1950 : "le dernier mot en ce qui concerne le Tibet devrait être celui du peuple du Tibet et de personne d’autre".

Le problème du Tibet a des dimensions et des implications qui vont bien au-delà du sort de 6 millions de Tibétains. Tout d’abord, le Tibet est situé entre l’Inde et la Chine. Pendant des siècles, le Tibet a été une zone tampon pacifique, séparant les deux pays les plus peuplés de la Terre. Quoi qu’il en soit, en 1962, seulement quelques années après la soi-disant "libération pacifique du Tibet" [4], le monde a été témoin de la première guerre de l’histoire entre les deux géants de l’Asie. Cela démontre clairement l’importance qu’il y a à trouver une résolution juste et pacifique de la question du Tibet pour permettre une confiance et une amitié véritables et durables entre les deux plus puissantes nations de l’Asie. Le problème du Tibet tient également en la fragilité de son environnement qui, selon les scientifiques, a un impact sur une grande partie de l’Asie et ses milliards d’habitants. Le plateau tibétain est la source de plusieurs des plus grands fleuves d’Asie. Les glaciers du Tibet forment la plus grande masse de glace en dehors des pôles. Certains experts de l’environnement parlent du Tibet comme du 3ème Pôle. Et si le présent réchauffement perdure, le fleuve Indus pourrait s’assécher dans les prochains 15-20 ans. Enfin, l’héritage culturel du Tibet est basé sur le principe bouddhique de compassion et de non-violence. De ce fait, il concerne non seulement les 6 millions de Tibétains mais aussi les 13 millions de personnes à travers l’Himalaya, la Mongolie et les Républiques de Kalmoukie et de Bouriatie en Russie, y compris les frères et sœurs chinois qui, de plus en plus nombreux, partagent cette culture qui a le potentiel de contribuer à bâtir un monde pacifique et harmonieux.

Ma maxime a toujours été d’espérer le meilleur et de se préparer pour le pire. Avec ceci à l’esprit, j’ai conseillé aux Tibétains en exil de faire plus d’efforts dans l’éducation de nos jeunes générations, de renforcer nos institutions culturelles et religieuses en exil, avec pour objectif de préserver notre riche héritage culturel, d’étendre et de renforcer les institutions démocratiques et la société civile au sein de la communauté des réfugiés tibétains. L’un des principaux objectifs de notre communauté en exil est de préserver notre héritage culturel là où c’est possible et d’être la voix libre de notre peuple captif au Tibet. Nous faisons face à des tâches et à des défis démesurés. En tant que communauté de réfugiés, nos ressources sont naturellement limitées. Nous, Tibétains, devons également envisager le fait que notre exil pourrait durer encore plus longtemps. Je voudrais donc remercier l’Union européenne pour son aide dans les domaines de l’éducation et la culture.

Je n’ai aucun doute sur le fait que l’engagement, fidèle sur les principes, du Parlement européen à l’égard de la Chine aura un impact sur le processus de changement en cours en Chine. La tendance globale est vers plus d’ouverture, de liberté, de démocratie et de respect pour les Droits de l’Homme. Tôt ou tard, la Chine devra suivre la tendance mondiale. Dans ce contexte, j’aimerais louer le PE pour avoir honoré du prestigieux prix Sakharov le défenseur des droits de l’Homme Hu Jia. C’est un signal important alors que nous voyons la Chine progresser rapidement. Avec son nouveau statut, celle-ci est conduite à jouer un rôle majeur de leader sur la scène mondiale. Pour le remplir, je pense qu’il est essentiel pour la Chine de permettre l’ouverture, la transparence, le droit et la liberté d’information et de penser. Il n’y a pas de doute sur le fait que les attitudes et les politiques de la communauté internationale envers la Chine auront un impact sur le processus de changement en cours, autant que sur les événements et développements internes.

En contraste avec l’attitude toujours extrêmement rigide du gouvernement chinois envers le Tibet, il y a heureusement au sein de la population chinoise - surtout au sein des cercles chinois éduqués et informés – une compréhension et une sympathie grandissantes pour la souffrance du peuple tibétain. Bien que ma foi dans le gouvernement chinois sur la question du Tibet devienne de plus en plus faible, ma foi dans le peuple chinois reste inébranlable. [5] J’ai donc conseillé au peuple tibétain de faire des efforts concertés pour toucher le peuple chinois. Les intellectuels chinois ont ouvertement critiqué la répression brutale des manifestations tibétaines par le gouvernement chinois en mars de cette année et ont appelé à la retenue et au dialogue pour résoudre les problèmes au Tibet [6]. Des avocats chinois ont publiquement offert de défendre lors de leur procès des manifestants tibétains arrêtés [7]. Aujourd’hui, il existe une compréhension, une sympathie, un soutien et une solidarité grandissantes au sein de nos frères et sœurs chinois pour la situation difficile des Tibétains et leurs aspirations légitimes. C’est très encourageant. Je profite de cette opportunité pour remercier nos courageux frères et sœurs chinois pour leur solidarité.

Je remercie également le PE pour son soutien et son attention continus pour le combat juste et non-violent des Tibétains. Votre sympathie, votre soutien et votre solidarité ont toujours été une grande source d’inspiration et d’encouragement pour le peuple tibétain, à la fois au-dedans et au-dehors du Tibet. Je voudrais remercier tout particulièrement les membres de l’Intergroupe Tibet du PE, qui ont fait de la tragédie du peuple tibétain non seulement le sujet de leur travail politique mais aussi la cause de leur cœur. Les nombreuses résolutions du PE sur le problème du Tibet [8] ont beaucoup aidé à révéler la souffrance du peuple tibétain et à faire prendre conscience du problème du Tibet au grand public et aux gouvernements, ici, en Europe, et partout dans le monde.

Le soutien constant apporté par le PE pour le Tibet n’a pas été ignoré en Chine. Je regrette que cela ait causé quelques tensions dans les relations UE - Chine [9]. Quoi qu’il en soit, j’aimerais partager avec vous mon espoir et ma croyance sincères que l’avenir du Tibet et de la Chine passera d’une incompréhension à une relation basée sur le respect mutuel, la confiance et la reconnaissance d’intérêts communs - malgré la situation actuelle très sombre au Tibet et l’impasse du processus de dialogue entre mes émissaires et le gouvernement chinois. Je n’a pas de doutes sur le fait que votre attention et votre soutien continus pour le Tibet vont, sur le long terme, avoir un impact positif et aideront à créer l’environnement politique nécessaire pour une résolution pacifique du problème du Tibet. Votre soutien continu est donc essentiel.

Je vous remercie de l’honneur que vous m’avez fait de pouvoir partager mes pensées avec vous.


Traduction française effectuée par le Bureau du Tibet, Paris.


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