Déclaration du Prof. Samdhong Rinpotché lors de la session d’inauguration de la conférence internationale sino-tibétaine, 6 août 2009
mercredi 19 août 2009 par Rédaction , Bureau du Tibet, Paris
Déclaration du Premier ministre (Kalon Tripa), le Professeur Samdhong Rinpotché, lors de la session d’inauguration de la conférence internationale sino-tibétaine tenue à Genève, Suisse, du 6 au 8 août 2009. Cette conférence sino-tibétaine, intitulée "Trouver des terrains d’entente", [1] a réuni des Chinois et des Tibétains, notamment des experts, professeurs, écrivains et des défenseurs des Droits de l’Homme.
Fidèle de Sa Sainteté le Dalaï Lama, chef suprême religieux et politique du peuple tibétain et apôtre de la paix mondiale, je souhaite étendre mon affection et ma gratitude au président de cette conférence, à M. Jonathan Sisson, au Dr Tashe Thaktsang, à M. Yan Jiaqi, hôtes distingués, aux participants de cette conférence, aux médias et à mes collègues de l’Administration centrale tibétaine.
Tout d’abord, je voudrais exprimer mes remerciements chaleureux au Mouvement International pour la Réconciliation (International Fellowship of Reconciliation) [2] et à l’Association Suisse d’Amitié Tibétaine (Swiss Tibetan Friendship Association) pour avoir initié cette conférence historique à Genève, illustre ville de Suisse. En cette période cruciale et critique, si les peuples chinois et tibétain restent vissés dans un doute pérenne et ne s’engagent pas l’un envers l’autre pour établir une meilleure compréhension mutuelle, cela sera non seulement une grande perte à la fois pour les Chinois et pour les Tibétains, mais cela favorisera aussi les objectifs de ceux qui se vouent à séparer les deux peuples. Par conséquent, l’organisation de cette conférence répond aux besoins du moment. La Suisse est un pays neutre qui a depuis longtemps relégué la guerre au rang d’outil de politique étatique. Ce pays a également une longue tradition de contribution à résoudre bien des conflits internationaux. De plus, la Suisse, en plus d’être le pays d’Europe où vivent le plus de Tibétains, est aussi une destination touristique privilégiée pour beaucoup, que ce soit pour la beauté de ses paysages, sa géographie ou son climat. Donc, le choix du lieu pour la tenue de cette conférence est parfait. Les organisateurs de cette conférence sont parfaits eux aussi, du fait que le Mouvement International pour la Réconciliation et l’Association d’amitié suisse-tibétaine sont des structures dédiées à la promotion de l’harmonie et de l’amitié entre les sociétés humaines. De plus, les participants sont parfaits en ce sens qu’ils sont tous dotés d’un grand intellect et de vastes expériences ; ce sont des personnes qui chérissent la justice et qui possèdent des vues libérales, bannissant les étroites visions paroissiales, ou qui considèrent leurs propres avis comme suprêmes et qui croient à la recherche de la vérité à travers les faits. J’ajoute à cela que cette conférence jouit d’une direction parfaite puisqu’il s’agit d’une déclaration écrite par Sa Sainteté le Dalaï Lama en personne qui a gentiment accepté de faire l’honneur d’ouvrir la session inaugurale de cette conférence. Je n’ai donc aucun doute que cette assemblée importante dotée de quatre "perfections", comme je viens de l’expliquer, se conclura par une issue formidable qui apportera beaucoup à moyen et à long termes aux peuples chinois et tibétain. Vous tous qui participez, avez pris la peine de venir de loin à travers le monde pour assister à cette conférence, ne lésinant pas sur votre temps précieux et votre argent. Nous sommes grandement touchés et encouragés par votre geste car il témoigne sans conteste de votre attachement à l’unité entre les peuples chinois et tibétain et de la responsabilité que vous endossez à cette fin. Je souhaite à tous la bienvenue à cette conférence, et au nom de l’intégralité du peuple tibétain, j’exprime notre sincère gratitude et nos remerciements à chacune et chacun d’entre vous. Comme vous le savez déjà, les Tibétains et les Chinois ont vécu tels des frères et des sœurs en toute amitié au cours de la plupart de leur longue histoire, même s’ils ont occasionnellement été en guerre les uns contre les autres. Cependant, de manière globale, ils sont restés bons voisins par le passé. À partir du VIIème siècle, les relations ont également commencé à se développer entre ces deux peuples d’un point de vue religieux. À la fin du XIIIème siècle, une relation particulière, dite relation Prêtre-Patron, s’est forgée entre les empereurs chinois Yuan et les dirigeants tibétains. Cette relation unique s’est même répétée durant la période de domination mandchoue sur la nation chinoise. Un grand changement politique, économique et social a eu lieu au XXème siècle à travers toute notre planète. Dans un tel contexte de tendance au changement, le Parti communiste chinois a pris les rênes de son pays et depuis, Chinois et Tibétains sont soumis à des souffrances et des difficultés inouïes. Cinquante ans se sont écoulés depuis la fuite de Sa Sainteté le Dalaï Lama et de plus de 80 000 Tibétains en exil [1959]. [3] Les six millions de Tibétains vivant au Tibet continuent de souffrir depuis ces longues et ténébreuses années. Leur situation n’a pas changé à ce jour. Pourtant, Sa Sainteté le Dalaï Lama (qui reconnaît clairement que ces souffrances proviennent de la politique tibétaine étriquée et obtuse menée par une petite partie des dirigeants politiques chinois et non par le peuple chinois) a toujours fait tous les efforts possibles pour veiller à ce que Tibétains et Chinois ne soient pas séparés dans leurs cœurs et dans leurs esprits. Du point de vue chinois également, un nombre incalculable de personnes connaissant la vérité manifeste un grand respect et une révérence envers Sa Sainteté le Dalaï Lama et éprouve de la compassion envers le peuple tibétain. La communauté des sympathisants du Tibet prend aujourd’hui de plus en plus d’ampleur et fait entendre sa voix pour soutenir les Tibétains. Nous avons tous connaissance, par exemple, des articles ou des récits honnêtes écrits par de nombreux Chinois de Chine ou de l’extérieur, sur la situation réelle au Tibet depuis les manifestations d’ampleur et pacifiques qui ont secoué le Toit du Monde début mars 2008. Ces articles reflètent le point de vue des Chinois de la base. [4] Auparavant, les autorités chinoises prétendaient que tous les Tibétains plaçaient joyeusement leur confiance et leur foi dans le gouvernement chinois après avoir abandonné leur "servitude féodale" et accompli leur "libération" accusant un petit nombre de séparatistes de la "clique du Dalaï" d’avoir provoqué tous ces troubles. Cependant, depuis les incidents populaires du mois de mars de l’an passé, elles se sont engagées dans des activités soigneusement planifiées, systématiques et de propagande afin de diviser Tibétains et Chinois en caricaturant toutes les manifestations tibétaines comme étant anti chinoises. Il semble qu’il y ait eu énormément de gens dans la population chinoise nourrissant des sentiments d’animosité envers les Tibétains après avoir été trompés par la propagande officielle chinoise. Mais de plus en plus de Chinois commencent désormais à découvrir la réalité alors que celle-ci se révèle peu à peu. Le récent rapport sur les manifestations de l’an dernier au Tibet publié à Pékin [5] est une preuve évidente que beaucoup de Chinois ne sont pas dupes des mensonges proférés par la machine étatique de propagande chinoise. Dans cette perspective, Sa Sainteté le Dalaï Lama a répété bien des fois : "Bien que ma confiance dans les dirigeants chinois s’amenuise de plus en plus, celle que je place dans le peuple chinois demeure intacte et ne subit aucune altération" [6]. Alors que l’unité entre nationalités est le socle de la stabilité d’une nation, celle de la Chine est à la base de la paix dans le monde. Personne ne peut prendre cette question à la légère. L’Administration tibétaine en exil, dirigée par Sa Sainteté le Dalaï Lama, sert de porte-parole indépendant pour les six millions de Tibétains. Cette administration a clairement exprimé à plusieurs reprises aux autorités de la République Populaire de Chine (RPC) qu’elle tient fermement à l’approche de la "Voie Médiane" et à ses bénéfices mutuels, qui cherche à résoudre la question du Tibet dans le cadre des clauses existantes et prévues dans la Constitution de la RPC. Les émissaires de Sa Sainteté le Dalaï Lama ont notamment exprimé cela clairement, oralement et par écrit, aux chefs du Front unitaire du Département du Travail chinois lors des huit séries de pourparlers officiels et un dialogue non officiel qui se sont tenues depuis 2002 [7]. Notre engagement pour trouver une solution à la question du Tibet dans le cadre politique de la Chine est également manifeste dans le contenu du Mémorandum sur une véritable autonomie pour tous les Tibétains (ce Mémorandum a déjà été rendu publique à présent) [8] que les interlocuteurs tibétains ont présenté à la RPC au cours de cette huitième série de pourparlers. De notre point de vue, comme nous sommes engagés dans la poursuite de cette approche qui ne cherche pas une séparation des Tibétains d’avec les Chinois, il n’y a aucun changement dans notre esprit pour l’avenir et nous reprendrons le dialogue avec les dirigeants chinois sur le mémorandum soumis l’an dernier. La République Populaire de Chine est un pays composé de plusieurs nationalités. Ceux qui sont au pouvoir devraient par conséquent remplir les aspirations de toutes les nationalités sous sa juridiction. S’ils atteignaient leur but, l’unité et l’égalité des nationalités telles qu’inscrites dans la Constitution chinoise seraient alors réalisées. Relativement à l’idéologie, les politiques et la conduite de travaux des dirigeants actuels de la Chine, les gens ont adopté des moyens divers et variés dans le passé pour exprimer leur désaccord ou leur mécontentement (et leur opposition) d’avec celles-ci, et le feront probablement à l’avenir également. Ce qui est pourtant crucial, c’est de veiller à ce qu’elles ne mènent pas à la détérioration de relations harmonieuses entre Tibétains et Chinois. Je demande aux participants de cette conférence d’expliquer aimablement à la population chinoise les idées et la position véritables des Tibétains, notamment les Tibétains en exil, et de l’Administration tibétaine en exil, menée par Sa Sainteté le Dalaï Lama (et d’établir ainsi des relations stables et harmonieuses entre les deux peuples). Je vous demande aussi à tous de nous faire part de vos suggestions et de vos opinions pour les démarches à suivre par nous à l’avenir. Je souhaite profiter de l’occasion pour exprimer notre plus grande consternation face à la triste tournure des événements dans le Xinjiang, au Turkestan oriental [9]. En solidarité avec tous ceux qui ont perdu la vie ou qui ont été blessés à cette occasion, de même qu’avec toutes les pertes matérielles subies, je présente mes condoléances et mes prières pour tous. Pour finir, je prie pour la longévité de Sa Sainteté le Dalaï Lama et pour la réalisation de tous ses vœux. Je prie aussi pour que l’unité entre les Tibétains et les Chinois dure des milliers d’années et pour que les Tibétains du Tibet et en-dehors puissent bientôt être réunis. Puisse cette conférence déboucher sur une issue significative ! Merci. Genève, le 6 août 2009 |
Traduit de l’original en anglais par le Bureau du Tibet, Paris.
Egalement sur ce sujet :
Conférence sino-tibétaine à Genève (6-8 août 2009) : "trouver des terrains d’entente"
Déclaration de Sa Sainteté le Dalaï Lama à la conférence sino-tibétaine, 6 août 2009
[1] Voir les orientations définies lors de cette conférence dans l’article Conférence sino-tibétaine à Genève (6-8 août 2009) : "trouver des terrains d’entente".
[2] Voir à ce sujet :
l’article (en anglais) concernant cette conférence
la branche française du Mouvement International de la Réconciliation.
[3] Voir la chronologie historique détaillée du Tibet.
[4] Voir entre autres l’article Trente intellectuels chinois appellent au dialogue avec le Dalaï Lama du 22/03/2008.
[5] Ce rapport publié par l’Institut Gongmeng de Pékin en juin 2009 met en évidence combien la virulente propagande du gouvernement chinois après les manifestations tibétaines de mars 2008 n’avait fait qu’éloigner encore plus les Chinois des Tibétains. Avec notamment cette phrase : "La sur-propagande autour des ’’violences’’ du 14 mars 2008 avait pour but de gonfler encore plus ces incidents afin d’accroître les ressentiments inter-ethniques déjà existants... Sur le long terme, ce type de campagne de propagande va au détriment de l’unité ethnique. La fascination éprouvée par les Chinois à l’égard de la culture tibétaine s’est transformée en crainte et en haine envers les Tibétains".
Ce rapport a été résumé en anglais par International Campaign for Tibet.
[6] Voir l’article Le Dalaï Lama garde foi dans le peuple chinois, pas dans son gouvernement.
[7] Voir la chronologie des contacts sino-tibétains depuis 1979.
[8] Voir au choix :
Synthèse du Mémorandum sur l’autonomie effective du peuple tibétain
Texte complet du Mémorandum sur une autonomie réelle pour le peuple tibétain.
[9] Voir les articles :
Emeutes au Turkestan oriental (Xinjiang) - Message de S.S. le Dalaï Lama
Tibet 2008, Xinjiang 2009 : des similitudes frappantes.
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