Déclaration de Sa Sainteté le Dalaï Lama à la conférence sino-tibétaine, 6 août 2009

mercredi 19 août 2009 par Rédaction , Bureau du Tibet, Paris

Déclaration prononcée par Sa Sainteté le Dalaï Lama lors de la Conférence sino-tibétaine intitulée "Trouver des terrains d’entente" [1], qui s’est tenue à Genève du 6 au 8 août 2009. Elle a réuni des Chinois et des Tibétains, notamment des experts, professeurs, écrivains et des défenseurs des Droits de l’Homme.

J’adresse mes remerciements au Président de cette conférence, à ses organisateurs, aux délégués qui sont venus de différentes provenances ainsi qu’aux invités. Je souhaite particulièrement faire l’éloge du Mouvement International de la Réconciliation (International Fellowship of Reconciliation) [2] et de l’Association Suisse d’Amitié Tibétaine (Swiss Tibetan Friendship Association) pour avoir organisé cette conférence de grande ampleur concernant Chinois et Tibétains.

Depuis plus de mille ans, les peuples tibétain et chinois ont coexisté dans une harmonie de voisinage amical, s’enrichissant mutuellement dans les domaines social et économique, religieux et culturel.
Épisodiquement, il y a eu des moments au cours desquels nous nous sommes combattus. Néanmoins, la plupart du temps, les relations entre les Tibétains et les Chinois étaient pacifiques. Comme le bouddhisme s’est développé en Chine avant de se répandre au Tibet, les bouddhistes tibétains confèrent aux bouddhistes chinois le respect et la déférence dus à des frères et sœurs aînés spirituels.

Alors que le reste du monde a vu se dérouler des événements tumultueux au XXème siècle, la Chine, elle aussi, a subi des changements radicaux. Peu après que le Parti communiste ait pris le contrôle de la Chine en 1949, l’Armée de Libération Populaire est entrée au Tibet, écrasant par la force, à Tchamdo [3], une petite armée tibétaine mal équipée. En 1951, l’accord en 17 points [4] fut signé sous la contrainte et tout le Tibet fut incorporé à la République Populaire de Chine.

Malgré tous nos efforts sincères pour nous plier à l’accord en 17 points, mon Cabinet et moi-même avons dû nous résoudre à l’exil en 1959, suivis de 80 000 Tibétains (laïcs et religieux). Peu après notre arrivée en exil, nous avons entamé avec les autorités chinoises d’intenses discussions de fond afin de résoudre le problème du Tibet par le contact et le dialogue. En conséquence, vers 1974, nous avons adopté l’approche de la "Voie médiane". Celle-ci est placée sous l’égide d’un esprit de poursuite d’une solution mutuellement acceptable et bénéfique au travers de négociations, dans un esprit de réconciliation et de compromis. Nous avons accepté de ne pas réclamer la séparation et l’indépendance du Tibet, mais de lutter pour une solution dans le cadre de la République Populaire de Chine. Ainsi, en 1979, lorsque feu le dirigeant chinois Deng Xiaoping a montré des signes de bonne volonté face à nos contacts et notre demande de dialogue, nous étions tout à fait prêts à répondre positivement. En instaurant un contact direct et en vue de pourparlers d’exploration, nous avons envoyé vingt délégations en mission pour recueillir des faits [5]. Malheureusement, il n’y a cependant pas eu d’issue concrète. Tous les contacts directs ont cessé en 1993. En conséquence de quoi, de plus en plus de Tibétains sont partis rejoindre la communauté en exil, celle-ci n’acceptant pas l’approche de la "Voie médiane".

Dans un tel contexte, en 1997, nous avons mené auprès des Tibétains en exil une enquête d’opinion qui a révélé que 64 % d’entre eux soutenaient la poursuite de l’approche de la "Voie médiane". Nous avons donc œuvré à rétablir le contact avec le gouvernement central chinois et nous y sommes parvenus en 2002. Depuis lors, mes émissaires ont mené avec les dirigeants du gouvernement central chinois jusqu’à huit séries de pourparlers officiels ainsi qu’une réunion informelle jusqu’à présent. Malheureusement, à cause d’un manque de volonté de la part du gouvernement central chinois de résoudre de manière sincère et réaliste la question du Tibet, les pourparlers n’ont pas donné de résultats tangibles. De plus, la situation au Tibet s’est dramatiquement détériorée depuis la crise du mois de mars 2008 au Tibet. Pékin a qualifié d’anti-Chinois ceux qui manifestaient pacifiquement leur mécontentement envers les politiques menées à l’encontre des minorités nationales, tibétaine tout particulièrement, attisant ainsi un antagonisme racial et haineux entre Chinois et Tibétains. Cette politique est des plus irresponsables. Elle a généré suspicion et méfiance entre les deux communautés. Je suis profondément attristé et inquiet de la tournure qu’ont pris les choses.

Heureusement, beaucoup d’intellectuels chinois n’ont pas succombé à la propagande du gouvernement central. Ils ont fait l’effort de comprendre le problème de manière objective. Ainsi, en se basant sur leurs propres observations et leurs propres découvertes, ils ont fait preuve de sympathie et de soutien envers les Tibétains dans divers articles [6]. Cela constitue une grande source d’encouragement pour les Tibétains et c’est aussi le triomphe de la vérité.

Mes émissaires ont clairement transmis au gouvernement central, par écrit et de vive voix, l’essence de l’approche de la "Voie Médiane". Cette approche constitue une solution au problème tibétain dans le cadre de la République Populaire de Chine et dans l’observation des principes de sa Constitution. Cette dernière octroie une autonomie régionale aux minorités nationales. L’an dernier, au cours de la huitième série de pourparlers [7], mes émissaires ont présenté le mémorandum sur l’autonomie véritable du peuple tibétain [8]. Se fondant sur les clauses de la constitution de la République Populaire de Chine et sur la loi d’autonomie nationale régionale, ce mémorandum explique en détail comment les Tibétains pourraient exercer une autonomie régionale nationale véritable. Néanmoins, à notre grande déception, notre initiative a été de manière éhontée qualifiée d’indépendance déguisée ou de revendication de semi indépendance. Notre mémorandum a été catégoriquement rejeté et aucun effort n’a été fait pour présenter une contre-proposition. Il en résulte qu’aujourd’hui, ma foi en la bonne volonté des autorités chinoises actuelles est ébranlée. [9]

À la lumière de ce triste constat, j’ai réuni une assemblée générale extraordinaire des Tibétains [10]. En novembre dernier, environ 600 délégués représentant tous les Tibétains en exil se sont réunis à Dharamsala pour une conférence de six jours. L’assemblée a débattu dans le détail la situation au Tibet et la tournure des événements en Chine, de même que le cours futur de la lutte tibétaine pour la liberté. Elle a également pris en compte tous les avis qu’il a été possible de recueillir de la part de Tibétains du Tibet. Une assemblée extraordinaire des groupes de soutien au Tibet à travers le monde s’est également tenue.

Dans ces deux assemblées, malgré des voix appelant à un changement de la "Voie Médiane" et à la fin de nos rapports avec le gouvernement chinois actuel, la plupart des participants a approuvé la poursuite de l’approche de la "Voie médiane", ainsi que du processus de dialogue sino-tibétain. Par cette affirmation publique de notre approche de la "Voie Médiane", nous sommes toujours prêts à nous engager dans un dialogue sincère et véritable et ce, dès que Pékin émettra un signal clair indiquant que le gouvernement central souhaite résoudre les vrais problèmes auxquels les six millions de Tibétains du Tibet sont confrontés.

J’ai deux demandes à formuler à nos frères et sœurs chinois qui participent à cette conférence. D’abord, je sollicite vos conseils et vos avis sincères sur la marche à suivre à l’avenir afin de résoudre la question tibétaine. Ensuite, je compte sur vous pour convaincre le peuple chinois que nous ne haïssons pas nos frères et sœurs chinois et que nous, les Tibétains, ne sommes ni anti-Chinois, ni contre la Chine. J’en appelle à vous pour m’aider et pour coopérer afin d’empêcher que la question du Tibet ne devienne un problème de préjudice racial et d’antagonisme entre Tibétains et Chinois.

Je voudrais conclure en exprimant ma gratitude à tous les participants qui sont venus de loin et aux organisateurs. Je prie pour que cette conférence constitue une étape importante vers un avenir commun, basé sur la confiance, l’amitié, le respect et les bénéfices mutuels.

Le Dalaï Lama
Genève, le 6 août 2009

Traduit de l’original en anglais par le Bureau du Tibet, Paris.


Egalement sur ce sujet :
- Conférence sino-tibétaine à Genève (6-8 août 2009) : "trouver des terrains d’entente"
- Déclaration du Prof. Samdhong Rinpotché lors de la session d’inauguration de la conférence internationale sino-tibétaine, 6 août 2009


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