Le Prix Sakharov au dissident Hu Jia et aux "sans-voix" de Chine et du Tibet
jeudi 23 octobre 2008 par Rédaction
Le Parlement européen a décerné le 23 octobre 2008 son Prix Sakharov 2008 au dissident chinois Hu Jia [1] "au nom des sans-voix de Chine et du Tibet", malgré des mises en garde de Pékin [2] sur une "détérioration des relations avec l’Europe", a annoncé le président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, en séance plénière à Strasbourg.
En décernant ce prix à Hu Jia, "le Parlement européen rend hommage au combat quotidien pour la liberté de tous les défenseurs des Droits de l’Homme en Chine", a estimé M. Pöttering.
Hu, 35 ans, a été condamné en avril [3] à l’issue d’une journée de procès, à trois ans et demi de prison pour tentative de subversion pour des propos publiés sur internet et des entretiens accordés à la presse étrangère.
Au cours des derniers jours, des représentants du gouvernement chinois ont exercé de nombreuses pressions sur les eurodéputés pour éviter que le Prix Sakharov 2008 ne soit décerné au dissident.
La récompense sera solennellement remise à Strasbourg le 17 décembre lors de la session du Parlement, qui sera également l’occasion de célébrer les 20 ans de ce prix, en présence des lauréats précédents : on compte parmi eux Nelson Mandela, la militante birmane Aung San Suu Kyi, et l’ex-secrétaire général de l’ONU Kofi Annan.
Le prix est doté d’une somme de 50 000 euros.
Biographie de Hu Jia
Adepte de la non-violence, le dissident chinois Hu Jia, 35 ans, lauréat du Prix Sakharov 2008, est l’une des voix les plus critiques du régime communiste.
Né le 25 juillet 1973, Hu Jia appartient à une famille qui a eu maille à partir avec le régime communiste dès les années ’50.
Ses parents, alors étudiants à l’université, sont victimes de la campagne "antidroitiers" de 1957, lancée par Mao contre les intellectuels après les avoir incités à critiquer le Parti communiste lors du "Mouvement des Cent fleurs".
Adolescent, Hu Jia a assisté aux manifestations pour la démocratie de Tiananmen, réprimée dans le sang dans la nuit du 3 au 4 juin 1989. Face aux violences, a-t-il expliqué dans des interviews, il est devenu bouddhiste, prônant la non-violence et affichant son admiration pour le Dalaï Lama, une figure honnie par le régime de Pékin.
"C’est un bouddhiste qui ne tuerait pas une fourmi, un végétarien qui aime protéger l’environnement et tient à la vie, un altruiste qui s’engage pour rendre la justice aux gens simples. Il n’est pas nuisible pour la société, au contraire il apporte sa contribution de façon noble", a écrit de lui sa femme.
Avec sa maigreur, accentuée dernièrement par une cirrhose du foie, Hu Jia est un jeune homme dont se dégage une certaine fragilité, mais qui a montré la fermeté de ses engagements face au régime communiste.
A partir du milieu des années ’90, son combat passe par un engagement dans des ONG, d’abord pour la défense de l’environnement, contre la désertification et pour la défense d’espèces en danger comme les antilopes tibétaines.
Puis, il travaille pour les victimes du virus du sida, en particulier les paysans du Henan infectés après avoir vendu leur sang, ce qui lui vaut une première arrestation par la police de cette province en 2002.
Dans son engagement - au côté de sa femme Zeng Jinyan, qu’il rencontre alors qu’elle était bénévole à la Croix Rouge -, il utilise les nouvelles technologies, comme l’internet et le téléphone portable.
Depuis avril 2004, Hu Jia a été privé de liberté de différentes manières, d’abord en étant placé en résidence surveillée dans son appartement dans une résidence de l’est de Pékin au nom ironique de "Bobo Cité liberté".
Il avait été arrêté après avoir participé en novembre 2007, via une téléconférence depuis sa résidence surveillée, à une réunion du Parlement sur les Droits de l’Homme en Chine [4], en amont des Jeux olympiques de Pékin, puis au terme d’une journée de procès le 18 mars 2008, condamné à trois ans et demi de prison pour tentative de subversion.
"La Chine a toujours été une dictature", avait expliqué Hu Jia dans une interview accordée à l’AFP en 2007.
"Maintenant, il existe une possibilité d’apporter la démocratie à ce pays pour la première fois en 5 000 ans d’histoire. C’est pourquoi je me sens privilégié de vivre cette époque et cela explique ce que je fais".
Incarcéré à Tianjin, à deux heures de route au sud-est de Pékin, il continue son combat auprès des autres prisonniers, selon son épouse.
"Il ne laissera pas tomber la question des Droits de l’Homme, ce qui complique les choses pour les responsables et les employés de la prison", a affirmé récemment Zeng sur son blog. (Une traduction très approximative de ce blog faite par Google permet d’avoir une vague idée de son message en français).
En novembre 2007, Zeng Jinyan a donné naissance à leur fille, Qianci. "De fait la plus jeune prisonnière politique du monde", selon l’association Reporters sans frontières (RSF).
La femme du dissident chinois emprisonné Hu Jia a exprimé le 23 octobre sa joie après l’attribution à son mari du Prix Sakharov 2008 par le Parlement européen, estimant qu’il s’agissait d’une "reconnaissance".
"Je pense que Hu Jia sera très content car son travail a reçu désormais la reconnaissance de tous", a déclaré Zeng Jinyan, jointe par téléphone par l’AFP.
Zeng, 25 ans, actuellement sous étroite surveillance dans son appartement de Pékin [5] où elle vit avec sa fille de 11 mois, a espéré que la récompense puisse améliorer la situation de Hu Jia.
"J’ai toujours eu le sentiment qu’un soutien envers Hu Jia ne peut que lui être bénéfique à long terme", a-t-elle dit.
La mère de Hu Jia, Feng Juan, 72 ans, a estimé que son fils avait énormément travaillé sur "les questions environnementales, le sida, les Droits de l’Homme". "Si ce prix le récompense après tout ce travail, alors c’est bien"
D’autres dissidents chinois ont estimé que le Prix Sakharov accordé à Hu Jia pourrait les aider dans leur combat.
"Cela aidera à promouvoir la protection des Droits de l’Homme en Chine. C’est une bonne chose pour le peuple chinois", a jugé Qi Zhiyong, qui a perdu une jambe après avoir été atteint par une balle lors de la répression de la place Tiananmen en 1989. [6] "Hu Jia mérite ce prix, il est très courageux, il est respecté de nous tous", a-t-il ajouté.
La journaliste dissidente Dai Qing a estimé que cela montrait que "le monde extérieur s’intéresse profondément aux Droits de l’Homme en Chine et (qu’il) souhaite exprimer au moins un soutien moral à des gens comme Hu Jia". "En Chine, les choses les plus importantes sont l’argent et sa propre personne. Que le Parlement européen donne ce prix à Hu Jia me réchauffe le coeur", a-t-elle lancé.
Depuis avril 2008, Hu Jia est "citoyen d’honneur" de la ville de Paris aux côtés du Dalaï Lama.
Réactions
L’organisation Human Rights Watch a réagi en appelant Pékin à libérer immédiatement le dissident et à mettre un terme au "harcèlement et à la surveillance de sa femme Zeng Jinyan et de leur fille Qianci".
France :
Le Prix Sakharov 2008 du Parlement européen consacre un engagement "emblématique", a déclaré le 23 octobre la secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l’Homme, Rama Yade.
Ce prix "consacre l’action d’un défenseur des Droits de l’Homme dont l’engagement en faveur de la liberté d’expression et sur les questions sociales est emblématique"
"Je suis intervenue personnellement, à plusieurs reprises, auprès des autorités chinoises, pour demander la libération de M. Hu Jia", a poursuivi la secrétaire d’Etat, ajoutant : "M. Hu Jia doit retrouver sa liberté".
De son côté, le porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères, Frédéric Desagneaux, a rappelé que "l’Union européenne en tant que telle a déjà exprimé sa préoccupation quant au sort de M. Hu Jia et des autres défenseurs des Droits de l’Homme détenus en Chine et continue à demander leur libération".
Allemagne
Le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a demandé le 23 octobre la libération du militant chinois des Droits de l’Homme Hu Jia à qui a été attribué le Prix Sakharov.
"Nous continuons à espérer une prochaine libération", a souligné M. Steinmeier. Il a dit son souhait de reprendre le 4 novembre le dialogue avec la Chine sur les Droits de l’Homme, qui avait été interrompu il y a un an lorsque l’accueil du Dalaï Lama à la chancellerie allemande avait suscité l’ire de Pékin.
"Je prie le gouvernement chinois de profiter de cette occasion pour examiner la possibilité d’une suspension de peine" pour Hu, a déclaré le ministre à Berlin.
Etats-unis
Les Etats-Unis ont salué le 23 octobre l’attribution du Prix Sakharov au militant des Droits de l’Homme chinois Hu Jia.
"Nous espérons que la reconnaissance que le Parlement européen a apporté à Hu Jia en lui accordant le prestigieux Prix Sakharov montrera aux dirigeants chinois l’énorme estime que la communauté internationale porte à son important travail de défense des Droits de l’Homme", a déclaré un porte-parole du département d’Etat, Gordon Duguid.
Washington espère aussi "que la Chine le libèrera immédiatement", a ajouté le porte-parole, rappelant que les Etats-Unis soulèvent régulièrement le cas de Hu Jia lors des rencontres "au plus haut niveau" avec les dirigeants chinois.
"Nous continuerons à coopérer avec d’autres membres de la communauté internationale pour encourager la Chine à accorder ses pratiques en matière de Droits de l’Homme aux critères internationaux", a poursuivi M. Duguid.
"Personne ne devrait être emprisonné pour avoir exprimé ses opinions ou pour avoir œuvré, dans les limites du système légal chinois, à adoucir la vie de ses concitoyens", a-t-il précisé.
"Nous avons hâte de voir le jour où la Chine reconnaîtra l’importance de la contribution des défenseurs des Droits de l’Homme à certains des problèmes sociaux les plus difficiles auxquels la société chinoise soit confrontée", a-t-il conclu.
Chine
Pékin a fait part le 23 octobre de son "fort mécontentement" après l’attribution du Prix Sakharov 2008 du Parlement européen au dissident chinois Hu Jia, affirmant cependant que cela n’affectera pas le sommet Asie-Europe (Asem). [7]
"Nous exprimons notre fort mécontentement envers la décision du Parlement européen d’accorder un tel prix, malgré nos démarches répétées [2], à un criminel emprisonné en Chine", a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Liu Jianchao, évoquant une "grossière ingérence dans les affaires intérieures chinoises".
RSF salue une "grande victoire"
L’organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans Frontières salue l’attribution du Prix Sakharov au militant des droits de l’Homme Hu Jia, estimant qu’il s’agit d’une "grande victoire pour les prisonniers d’opinion chinois", le 23 octobre dans un communiqué.
"L’Europe envoie un message très fort de solidarité et d’espoir aux prisonniers d’opinion chinois, dont Hu Jia est l’un des plus connus", estime l’organisation, qui appelle les autorités chinoises à "entendre cet appel en faveur de sa libération ainsi que de celles des détenus d’opinion".
Ce prix "récompense également le travail inlassable de Hu Jia en faveur de l’environnement, des malades du Sida et des Droits de l’Homme. La Chine a besoin de personnalités comme Hu Jia", ajoute RSF.
L’organisation salue en outre "la mobilisation des députés européens" ainsi que "le courage" du président du Parlement européen Hans Gert Pöttering.
Source : AFP, Parlement européen, RSF, Human Rights Watch, 23 octobre 2008
[1] Voir le dossier spécial sur le cas de Hu Jia.
[2] Dans une lettre du 16 octobre à M. Pöttering dont l’AFP a obtenu copie, l’ambassadeur de Chine auprès de l’UE, Song Zhe, avait averti que "si le Parlement européen devait décerner ce prix à Hu Jia, cela heurterait inévitablement le peuple chinois et détériorerait sérieusement les relations entre la Chine et l’UE".
Les pressions chinoises ont été exercées "par lettre, par email, et ils ont même essayé par téléphone", a indiqué de son côté le chef du groupe libéral du Parlement européen, Graham Watson, mais elles se sont avérées "contre-productives", a déclaré une porte-parole de Hans-Gert Pöttering.
[3] Le procès a eu lieu le 18 mars 2008, mais la décision mise en délibéré n’a été rendue qu’en avril
[4] Voir l’article de Thomas Mann (5ème paragraphe de cette page) :
Le 10 octobre, Hu Jia a participé à une conférence de presse sur les droits de l’homme organisée au Parlement européen à Bruxelles. Pour ce faire, il avait établi avec nous une connexion téléphonique en direct de la Chine. Nous nous devons de le remercier pour cet acte courageux. L’an passé, Hu Jia et sa femme Zeng Jinyan ont été nommés par le Parlement européen pour le prix Sakharov. Sur son blog internet, il fait état des prisonniers politiques et des victimes des confiscations de terres effectuées en vue des prochains Jeux olympiques.
Dans une lettre, Hu Jia a remercié la chancelière Angela Merkel d’avoir reçu le Dalaï Lama. À l’évidence, cet acte n’a pas été toléré par la Chine officielle. Dans une lettre ouverte, quelque 57 intellectuels chinois ont demandé la libération de Hu Jia, une initiative qui a été approuvée par notre Président, Hans-Gert Pöttering. Les arrestations d’activistes des droits de l’homme, surtout en raison de leurs contacts avec le Parlement européen, sont pour nous autant de camouflets. Nous devons employer tous les moyens diplomatiques dont nous disposons pour obtenir la libération immédiate de Hu Jia.
[5] Voir malgré tout son témoignage récent juste avant l’attribution du Prix Nobel de la Paix 2008
[6] Voir le dossier sur Qi Zhiyong.
[7] L’attribution du Prix Sakharov a été annoncée à la veille de l’ouverture du sommet Asie-Europe (Asem) à Pékin, auquel vont participer 43 chefs d’Etat et de gouvernement des 27 pays de l’UE, des dix membres de l’Asean (Association des Nations d’Asie du Sud-Est) et six autres pays asiatiques dont les poids lourds économiques, Chine, Inde et Japon.
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