Un expert des Nations-unies remet en cause la politique rurale du gouvernement chinois
jeudi 23 décembre 2010 par Monique Dorizon
Le Rapporteur spécial des Nations-unies sur le droit à l’alimentation, M. Olivier De Schutter, a souligné que "par suite des mesures adoptées dans le cadre de la politique de "tuimu huancao", les éleveurs ne devraient pas être mis dans une situation où ils n’ont pas d’autres choix que de vendre leur troupeau et se réinstaller ailleurs". A la suite de sa mission en République populaire de Chine, du 15 au 23 décembre 2010, cet expert a publié ses observations préliminaires et conclusions.
L’expert recommande au gouvernement de la République populaire de Chine d’engager des consultations significatives avec les communautés nomades, d’évaluer les politiques passées et actuelles, d’examiner toutes les options possibles afin d’y associer les connaissances des éleveurs nomades sur leurs territoires. Les nomades et les agriculteurs tibétains ont droit à leurs moyens de subsistance, comme indiqué dans l’article 6 [1] de la Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels, ratifiée par la République populaire de Chine en 2001.
Les politiques officielles de tuimu huancao ("Suppression des animaux pour faire pousser l’herbe") et tuigeng huanlin ("Retour de la forêt sur les terres") ont créé des ravages dans la vie des ruraux tibétains. Les politiques menées ont eu d’énormes impacts négatifs sur la vie des ruraux depuis 2000, alors que l’État applique par la force des politiques visant à déplacer les Tibétains par centaines et par milliers. Les nomades tibétains ont été chassés par la force de leurs lieux d’habitation traditionnels et souvent, en un temps limité, jetés dans les maisons en béton du gouvernement, souvent avec un financement partiel, avec peu de subventions en compensation. [2]
Les connaissances et les compétences des familles nomades transmises de génération en génération, en vivant une vie digne en harmonie avec la nature, ont été rendues inutilisables de par les politiques officielles, et ces familles font face à d’énormes difficultés alors que la maigre compensation de l’État s’épuise rapidement et le manque de compétences leur rend la vie difficile dans des maisons en béton. Ces personnes sont incitées par l’Etat à entrer dans l’économie urbaine, en tant que commerçant, chauffeur, ou bien ouvrier dans le bâtiment.
L’organisation Human Rights Watch dans son rapport de juin 2007 "Personne n’a la liberté de refuser" sur la réinstallation forcée des éleveurs tibétains de Gansu, du Qinghai, du Sichuan et de la "Région autonome du Tibet" avait fait recommandation au gouvernement de la République populaire de Chine d’imposer un moratoire sur toutes les réinstallations jusqu’à ce que soit mise en place une étude de la réinstallation et son impact négatif sur les droits des bergers.
Ce qui suit est extrait des observations préliminaires et des conclusions du Rapporteur spécial sous la rubrique "Défi 2 : Assurer la sécurité de la durée d’emploi et l’accès à la terre".
Les bergers nomades dans les provinces de l’Ouest et les régions autonomes, en particulier dans le Tibet ("Xizang" en chinois) et l’intérieur des régions autonomes mongoles, forment un autre groupe vulnérable. La Loi des prairies, adoptée en 1985, avait demandé, dans l’ordre, de protéger les prairies et de moderniser l’industrie de l’élevage des animaux pour sa transformation. Elle a maintenant été complétée par un ensemble de politiques et de programmes, y compris les tuimu huancao ("Suppression des animaux pour faire pousser l’herbe") et tuigeng huanlin ("Retour de la forêt sur les terres").
Ces programmes, faisant partie de la stratégie de développement de l’ouest de 1999 (xibu da kaifa), cherchent à s’occuper de la dégradation des pâturages et à contrôler les catastrophes dans les terres basses de la Chine. Ils comprennent des mesures telles que des interdictions de pâturage, des périodes de non utilisation des terres, de rotation de pâturage et d’aménagement de capacité de transport, des limitations de la répartition des pâturages, des clôtures obligatoires, l’abattage des animaux d’élevage et la plantation d’eucalyptus sur des terres marginales afin de réduire la menace d’érosion des sols. Bien qu’il y ait peu de doute quant à l’étendue du problème de la dégradation des terres, le Rapporteur spécial note que les éleveurs ne devraient pas, à cause des mesures adoptées dans le cadre de la politique de tuimu huancao, être mis dans une situation où ils n’ont pas d’autre choix que de vendre leur troupeau et de se réinstaller ailleurs. |
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels interdit de priver des personnes de leurs moyens de subsistance et la Convention de 1992 sur la diversité biologique [3] reconnaît l’importance des communautés autochtones comme garantes et protectrices de la biodiversité (Art. 8 j) [4].
La Chine a ratifié ces deux textes. Le Rapporteur spécial encourage les autorités chinoises à engager des consultations significatives avec les communautés, afin d’évaluer les résultats des politiques passées et actuelles et d’examiner toutes les options possibles, y compris les récentes stratégies marginales de gestion durable des pâturages tels que la gestion des parcours (ARN) afin de combiner les connaissances des éleveurs nomades sur leur territoire avec les informations qui peuvent être tirées de la science moderne. Le Rapporteur spécial encourage également les autorités chinoises à investir dans la réhabilitation des pâturages et à soutenir les nomades restants avec une extension rurale.
Les programmes d’assurance de potentiel de bétail devraient également être explorés, comme testés avec succès en Mongolie. Ces programmes, qui paient des nomades pour repeupler et récupérer après un sinistre majeur, encouragent les nomades à garder les troupeaux à la plus petite échelle comme ils le feraient par peur de perdre leur activité d’élevage après ces catastrophes.
Source : Tibetan Center for Human Rights and Democracy, 23 décembre 2010
[1] L’article 6 indique précisément :
"1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit.
2. Les mesures que chacun des Etats parties au présent Pacte prendra en vue d’assurer le plein exercice de ce droit doivent inclure l’orientation et la formation techniques et professionnelles, l’élaboration de programmes, de politiques et de techniques propres à assurer un développement économique, social et culturel constant et un plein emploi productif dans des conditions qui sauvegardent aux individus la jouissance des libertés politiques et économiques fondamentales".
[2] Voir à ce sujet les articles :
"Mars-avril 2008 : que s’est-il passé au Tibet ? - Analyse de Françoise Robin", du 25/06/2008
"Construction de maisons pour 500 000 bergers tibétains", du 13/10/2008
"En 2008, la Chine a déplacé 300 000 fermiers et bergers Tibétains", du 31/12/2008
"Halte à la sédentarisation forcée des nomades tibétains !", du 29/11/2009.
[3] Voici un résumé du contexte et des différents aspects de cette Convention de 1992 sur la diversité biologique qui cite :
"Parmi les points les plus significatifs de cette déclaration, on peut retenir :
le droit au développement qui doit être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement et à l’environnement des générations présentes et futures ;
l’élimination de la pauvreté qui constitue une condition indispensable du développement durable ;
une priorité spéciale doit être accordée pour les pays en développement, en particulier des pays les moins avancés et des pays les plus vulnérables sur le plan de l’environnement ;
le renforcement des connaissances scientifiques en matière de développement durable et le renforcement des échanges et le transfert des techniques ;
l’accès aux informations relatives à l’environnement pour tous les citoyens ;
la promulgation de mesures législatives efficaces en matière d’environnement dans chaque pays ;
l’élaboration de législations nationales concernant la responsabilité de la pollution et d’autres dommages à l’environnement et l’indemnisation de leurs victimes
le rôle des femmes dans la gestion de l’environnement et le développement.
le rôle vital des populations et communautés autochtones dans la gestion de l’environnement et le développement du fait de leurs connaissances du milieu et de leurs pratiques traditionnelles.
Un dernier principe très important est énoncé : les États et les peuples doivent coopérer de bonne foi et dans un esprit de solidarité à l’application des principes consacrés dans la présente Déclaration et au développement du droit international dans le domaine du développement durable".
[4] Cet article 8j stipule :
"Sous réserve des dispositions de sa législation nationale, respecte, préserve et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique et en favorise l’application sur une plus grande échelle, avec l’accord et la participation des dépositaires de ces connaissances, innovations et pratiques et encourage le partage équitable des avantages découlant de l’utilisation de ces connaissances, innovations et pratiques".
<:accueil_site:>
| <:info_contact:>
| <:plan_site:>
| [(|?{'',' '})
| <:icone_statistiques_visites:>
<:site_realise_avec_spip:> 2.1.13 + AHUNTSIC