Proposition de résolution sur le respect de la liberté d’expression au Tibet à l’Assemblée nationale
mercredi 21 mars 2012 par Rédaction
Proposition de résolution sur le respect de la liberté d’expression au Tibet
présentée par Mesdames et Messieurs
Lionnel LUCA, Patrick BLOCHE, Philippe FOLLIOT, Henri PLAGNOL, Jean-Louis BIANCO, Jean-Marc ROUBAUD, Françoise HOSTALIER, Jean-Christophe LAGARDE, Patrick LABAUNE, Didier GONZALES, Olivier JARDÉ, Thierry LAZARO, Michel PIRON, Joël GIRAUD, Isabelle VASSEUR, Daniel SPAGNOU, Michel TERROT, Paul DURIEU, Dino CINIERI, Jacques REMILLER, Philippe VITEL, Christian KERT, Catherine QUÉRÉ, Christian VANNESTE, Jean-Luc REITZER, Guénhaël HUET, Jean LAUNAY, Armand JUNG, Étienne MOURRUT, François LONCLE, Patrice VERCHÈRE, Jean-Michel FERRAND, Dominique TIAN, Loïc BOUVARD, Marie-Hélène THORAVAL, Valérie BOYER, Martine LIGNIÈRES-CASSOU, Jean-Sébastien VIALATTE, Chantal ROBIN-RODRIGO, Étienne BLANC, David HABIB et Jean-Louis IDIART, députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Cette proposition de résolution vise à porter à la connaissance de nos concitoyens des faits particulièrement inquiétants survenus au Tibet ces derniers mois, afin qu’ils mesurent la réalité de la situation actuelle des Tibétains et la réaction qui s’impose.
Depuis le 16 mars 2011, 16 personnes se sont immolées au Tibet [1] en signe de protestation contre les politiques répressives menées par la République populaire de Chine. 11 d’entre eux sont décédés [1]. Selon plusieurs témoins, certains ont été brutalisés et battus par la police quand ils tentaient d’éteindre les flammes.
Ainsi, Phuntsog, âgé de 20 ans, et Tsewang Norbu, âgé de 29 ans, sont décédés après s’être immolés, respectivement les 16 mars et 15 août 2011. Lobsang Kelsang, et Lobsang Kunchok, tous deux âgés de 18 ans, se sont immolés sur le marché du comté d’Aba-Ngaba [2], province chinoise du Sichuan [3], le 26 septembre. Leur état de santé demeure incertain.
Kelsang Wangchuk, Kayang, Choepel, Norbu Damdrul, Tenzin Wangmo et Dawa Tsering, se sont auto-immolés respectivement le 3, 7, 15, 17 et 25 octobre 2011. Excepté Kelsang Wangchun et Dawa Tsering, tous les autres son décédés.
Le 17 octobre 2011, une nonne du couvent de Mame Dechen Choekor de Ngaba, Tenzin Wangmo, âgée de 20 ans, est décédée. Elle est la première femme à avoir montré son indignation en s’immolant.
Le 1er décembre 2011, Tenzin Phuntsog, un moine du monastère de [4] Karma, dans la localité de [5] Chamdo, a été le premier à s’immoler dans la Région Autonome du Tibet (TAR). Il est décédé.
Depuis le début de l’année 2012, on compte 4 cas d’auto-immolations : Tenny [6] et Tsultrim se sont immolés le 6 janvier à [7] Ngaba (Sichuan), Sonam Wangyal, une personnalité religieuse respectée, s’est immolé dans la localité de Golog. Il est le premier cas dans la province chinoise du Qinghai. Enfin, le 14 janvier 2012, Lobsang Jamyang, un laïc, s’est immolé et a été passé à tabac par la police chinoise à Ngaba (Sichuan). La population locale a protesté et les forces de sécurité ont tiré sur la foule, blessant deux personnes. La situation reste à ce jour très tendue dans cette région.
En mars 2011, à la suite du premier incident impliquant une immolation, des forces armées chinoises ont pris position autour du monastère de Kirti et l’ont privé de nourriture et d’eau pendant plusieurs jours. Plus de 300 moines ont été arrêtés et sont actuellement détenus dans des lieux non rendus publics, pour être soumis à plusieurs semaines "d’endoctrinement politique". Sur 2 600 moines membres de la communauté, seuls 600 sont encore sur place.
L’auto-immolation, condamnée par le Dalaï Lama ainsi que par l’Administration Centrale Tibétaine, au nom de leur attachement au principe de non-violence, peut être considérée comme une forme de protestation et l’expression du désespoir croissant des jeunes Tibétains, en particulier de la communauté monastique de Kirti.
Quelles qu’en soient les motivations personnelles, ces actes doivent être replacés dans le contexte plus large de la répression religieuse et politique exercée dans la région par les autorités chinoises, répression qui s’est intensifiée depuis 2008.
Ces derniers mois, les autorités chinoises ont renforcé la sécurité au Tibet, en particulier dans la zone du monastère de Kirti (dans la province du Sichuan). Des policiers patrouillent autour du monastère et nul ne peut y accéder. Les médias étrangers se sont vus interdire l’accès aux régions du Tibet en proie aux troubles, et la télévision chinoise n’a pas relayé ces actions de protestation. Il est interdit aux Tibétains de s’exprimer publiquement à ce sujet, sous peine d’emprisonnement.
Pourtant, comme l’a réaffirmé le Dalaï Lama en mars 2011, lors de son transfert de pouvoir politique et administratif à l’Administration tibétaine, les Tibétains n’ont aucune velléité séparatiste et prônent la non-violence.
Le Mémorandum sur l’autonomie réelle pour le peuple tibétain de janvier 2010 [8] énonce clairement que les Tibétains restent "fermement engagés à ne pas réclamer la séparation ou l’indépendance". Ils veulent "trouver une solution au problème tibétain à travers une véritable autonomie, ce qui est compatible avec le principe d’autonomie prévu par la Constitution de la République populaire de Chine".
Les Tibétains ont une histoire, une culture et une spiritualité riches, qui fondent leur spécificité et leur identité commune, et qu’ils souhaitent préserver. Les autorités chinoises ont d’ailleurs reconnu la nationalité tibétaine comme l’une des 55 nationalités minoritaires [9] qui composent la République populaire de Chine. Par ailleurs, la Constitution chinoise garantit les principes de liberté d’expression et de religion aux minorités culturelles.
Le patrimoine culturel et religieux tibétain est une richesse pour l’humanité. Cette richesse est aujourd’hui en danger, comme sont en danger les hommes qui la défendent.
L’unique revendication des Tibétains porte sur le respect de leurs droits fondamentaux en tant que minorité reconnue au sein de la République populaire de Chine.
Il est donc aujourd’hui urgent que la France intervienne auprès du gouvernement chinois pour que cesse la politique répressive envers la minorité tibétaine, plus particulièrement à l’égard des moines et nonnes, et réaffirme son soutien aux Tibétains, au nom du respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression qui sont au fondement de sa politique étrangère.
Nous appelons solennellement l’envoi d’une mission européenne d’observation dans la région du monastère de Kirti et la reprise du dialogue entre les représentants du gouvernement chinois et les envoyés du Dalaï Lama afin de promouvoir l’autonomie du Tibet au sein de la République populaire de Chine.
Tel est le sens de la proposition de résolution que nous vous proposons d’adopter.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34-1 de la Constitution [10] ;
Vu l’article 136 du Règlement [11] ;
Vue la Déclaration universelle des droits de l’homme [12] ;
Considérant que le respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression sont des valeurs universelles ;
Considérant que les mesures de sécurité mises en place par le gouvernement chinois au Tibet, particulièrement dans la préfecture du comté d’Aba-Ngawa [2] de la province du Sichuan, limitent la liberté d’expression, d’association et de religion des Tibétains, en contradiction avec les principes posés par la Constitution de la République populaire de Chine ;
1. Se déclare profondément préoccupée par les nouvelles qui font état de 17 cas d’immolations au Tibet depuis 2009 [1], dont la majorité concernent des moines et nonnes de la zone du monastère de Kirti, dans la province chinoise du Sichuan ;
2. Condamne la répression menée par les autorités chinoises à l’encontre des monastères tibétains et les appelle à lever les restrictions et les mesures de sécurité imposées aux monastères ainsi qu’aux communautés de laïcs de la préfecture du comté d’Aba-Ngawa ;
3. Demande au gouvernement de la République populaire de Chine de faire toute la lumière sur la situation de plusieurs centaines de moines du monastère de Kirti emprisonnés en avril 2011, insiste pour qu’ils aient droit à un procès équitable et souhaite que des observateurs indépendants soient autorisés à rendre visite aux moines en détention ;
4. Demande l’envoi d’une mission d’observation européenne dans la région du monastère de Kirti ;
5. Réaffirme le droit des Tibétains à la liberté de conscience, conformément à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme [13] et à l’article 36 de la Constitution de la République populaire de Chine [14] et condamne les mesures menaçant la langue, la culture, la religion, le patrimoine et l’environnement du Tibet, prises par les autorités chinoises en violation de ces dispositions ;
6. Souhaite que la France et l’Union Européenne appellent de leurs vœux la reprise du dialogue entre les autorités chinoises et les émissaires du Dalaï Lama en vue d’établir un véritable statut d’autonomie pour le Tibet au sein de la République populaire de Chine et nomment à ce titre un Coordinateur Spécial Européen pour les Affaires Tibétaines.
Source : Assemblée nationale
NB Les notes de bas de page et les liens, internes ou externes, ont été ajoutés par Tibet-info à des fins d’explication, d’illustration ou de compléments d’information et ne font pas partie du document officiel.
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[1] Le nombre de victimes est considérablement plus élevé depuis cette date. Voir l’article "Immolations : récapitulatif, actions et réactions", du 30/10/2011, réactualisé.
[2] Aba (阿坝藏族羌族自治州 ) en chinois, Ngaba en tibétain. Localisation de Ngaba au centre de cette carte.
[3] Ancienne province tibétaine du Kham, dans l’est du Tibet. Voir la carte du Tibet occupé.
[4] L’article original mentionne "du Karma" au lieu de "de Karma"
[5] L’article original mentionne "du Chamdo" au lieu de "de Chamdo". Chamdo (|ཆབ་མདོ་ en tibétain, Qamdo ou 昌都 en chinois) peut être localisé sur cette carte.
[6] Tenyi et non Tenny
[7] L’article original mentionne "en Ngaba" au lieu de "à Ngaba".
[8] Voir les articles :
"Mémorandum sur une autonomie réelle pour le peuple tibétain"
"Note explicative du Mémorandum sur l’autonomie véritable pour le peuple tibétain"
[9] La 56ème "nationalité" (la Constitution chinoise utilise le terme "nationalité" ou "ethnie"), l’ethnie han, est majoritaire et représente environ 92 % de la population chinoise, les 8 % restant étant partagés entre les 55 autres "nationalités minoritaires".
[10] article 34-1 : Les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique. (Source)
[11] Voir cet article 136
[12] Voir le texte de la Déclaration universelle des droits de l’homme
[13] Article 18
Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.
[14] Article 36 : Les citoyens de la République populaire de Chine jouissent de la liberté de religion.
Aucun organisme d’Etat ni aucun groupement social ni aucun individu ne peuvent forcer un citoyen à avoir ou à ne pas avoir de religion, ni faire de discrimination à l’égard d’un croyant ou d’un non-croyant.
L’Etat protège les pratiques religieuses ordinaires. Aucun individu ne peut utiliser la religion aux fins de troubler l’ordre social, la santé des citoyens, nuire au système éducatif de l’Etat.
Les groupements religieux et les affaires religieuses ne doivent subir aucune domination étrangère. (Source)
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