Norbu, portrait d’un ancien prisonnier
lundi 19 juillet 1999 par Webmestre
Norbu est né en 1974 à Dulung près de Lhassa, dans une famille de fermiers comprenant les parents, lui-même, 2 garçons et 2 filles. Excepté lui, tout le monde vit encore au Tibet à ce jour. Norbu a été scolarisé pendant un an, puis il a été berger pour le compte de ses parents. A l’âge de 10 ans il devint moine au monastère de Radö (près de Nyethang où sa famille avait déménagé). Le jeune garçon reçut un enseignement spirituel, en même temps que 7 autres petits novices, d’un vieux moine qui se chargea également de les initier à l’histoire du Tibet. Ainsi, Norbu fut très jeune informé de la situation politique du Tibet. Son guru leur faisait aussi écouter les émissions radio tibétaines provenant de l’Inde.
En 1987, des moines seniors de Radö furent arrêtés brutalement au monastère même, pour activités politiques et toute la communauté religieuse fut mise sous haute surveillance par la police chinoise. Un programme de rééducation politique s’en suivit, lors duquel plusieurs religieux manifestèrent leur contestation. Une bagarre éclata entre Chinois et moines et provoqua de nombreux blessés. Craignant pour la sécurité de ses jeunes élèves, le guru de Norbu renvoya les 8 enfants dans leurs familles respectives. Norbu rejoignit ses parents, mais ceux-ci ne purent l’accueillir car eux-mêmes étaient déjà persécutés par les autorités chinoises pour activités politiques. Norbu se dirigea vers Lhassa où il erra à la recherche d’un abri et finalement fut accueilli au monastère de Drepung où les moines prirent soin de lui pendant 6 semaines. Après cela, le petit novice retourna à Radö. A cause de tous ces évènements, Norbu jeune garçon de 13 ans se sentit très affligé et directement concerné par la défense des Droits de l’Homme dans son pays.... Il décida d’agir lui aussi dès que l’occasion se présenterait à lui !
Losar 1988 arriva et de très nombreux moines et nonnes se réunirent devant le Jokhang pour le mönlam (grandes prières). Le 5 mars, plusieurs lamas de Ganden se mirent à lancer des slogans en faveur de la libération du fameux prisonnier polique Yulo Dawa Tsering [1]. La presque totalité des religieux présents suivirent le mouvement et une révolte se déclencha. Les manifestants firent 3 fois le tour du Jokhang en criant des slogans indépendantistes, puis une partie de la foule se dispersa. Les moines restant qui voulaient se regrouper à nouveau devant le Jokhang furent arrêtés par l’armée chinoise arrivée entre temps, mais les manifestants les repoussèrent temporairement et atteignirent leur but (le Jokhang). Les soldats chinois s’attaquèrent alors brutalement aux religieux et Norbu avec trois de ses petits amis se portèrent volontaires pour détruire les caméras sur le toit du Jokhang qui filmaient les manifestants. Il était en train de couper les fils électriques alimentant ces caméras lorsqu’il fut aveuglé par des bombes lacrimogènes. Il tenta de fuir avec beaucoup de mal.
La grille d’entrée du Jokhang ayant été bouclée par les Chinois, il essaya de se réfugier dans des chambres de moines. Les soldats chinois surgirent dans les résidences des religieux, brisèrent les portes, les fenêtres, les meubles, en expulsèrent les moines et les battirent brutalement avec des cordes métalliques.
Norbu fut arrêté dans sa fuite et sauvagement matraqué, il perdit connaissance et en se réveillant constata que son visage était en sang. Près de lui gisait le cadavre d’un vieil homme qui avait été abattu par les soldats alors qu’il venait secourir le jeune garçon. Norbu tenta encore de se cacher, mais les Chinois le rattrapèrent et continuèrent à le battre de plus bel.
"Ils m’ont tellement battu, que je ne ressentais même plus de douleur lorsque les coups s’abattaient sur moi..." Le nez cassé, le visage et le corps ensanglantés, l’enfant perdit conscience. Les soldats chinois pensant avoir achevé leur oeuvre, croyant Norbu mort, jetèrent le petit corps du haut du toit du Jokhang pour s’en débarasser.... Mais Norbu n’était pas mort, il se réveilla et tenta de fuir mais il fut retenu par sa jambe droite disloquée. Il rampa vers une éventuelle cachette (il se trouvait toujours dans l’enceinte du Jokhang), finalement et en désespoir de cause, il se résigna à mourir. Deux soldats s’approchèrent de lui et lui ordonnèrent de se lever, il ne put obéir et ils se mirent à torturer sa jambe cassée. Finalement un des soldats le transporta sur son dos hors du Jokhang (cette scène apparait sur une vidéo diffusée en Occident) et il fut emmené à la prison de Gutsa. A Gutsa, il fut jeté dans une cellule avec deux autres moines de Radö qui eurent du mal à le reconnaître à cause de son visage déformé par les coups. Dans cette cellule se trouvait aussi Ganden Tashi [2] qui en compagnie des deux religieux de Radö s’occupèrent de Norbu. Le jeune garçon en effet ne reçut aucun soin médical durant tout son séjour en prison et il souffrit terriblement de ses blessures. Il fut interrogé par les policiers chinois qui tout d’abord lui offrirent des sucreries car il n’était encore qu’un enfant, devant son obstination à ne pas nommer les manifestants dont on lui montrait les photos, ils le menacèrent en lui mettant le canon d’un revolver dans la bouche... Les policiers venaient dans sa cellule pour l’interroger sous la torture (manipulation de sa jambe cassée, entre autres) devant ses compagnons de cellule réduits à l’impuissance.
Après quelques semaines passées à Gutsa, de nombreux prisonniers, dont Norbu, furent conduits à la prison de Sangyip. Durant chaque nuit les prisonniers organisèrent des rituels et des cérémonies religieuses et ce fut essentiellement Yeshi Topden (le président de l’association Gu Chu Sum) qui menait ces offices. A Sangyip, Norbu ne fut guère interrogé et ne fut pas torturé, mais il n’y reçut pas de soins pour ses blessures. Après quelques semaines, il fut conduit par la police au monastère de Radö où on lui remit ses papiers d’expulsion du monastère, puis on l’enferma à la prison de Shushur où il resta deux ans. Dans cette prison ne se trouvaient que des prisonniers de droit commun. Norbu reçut des documents officiels d’arrestation mais il ne fut jamais jugé. A Shushur, sa famille dut pourvoir à tous ses besoins alimentaires et autres.
Il fut libéré le 20 mai 1990 et on lui donna un certificat de libération qui mentionne qu’il avait été emprisonné pour activités politiques. En mars 1988, Norbu avait à peine 14 ans et un peu plus de 16 ans à sa libération ! Après sa libération, Norbu retourna chez ses parents. En novembre 1992, son maître spirituel qui lui était resté très dévoué, l’informa qu’un groupe de 4 moines de Radö allait s’enfuir en exil et que le jeune homme devrait aller avec eux. Norbu confiant en son maître suivit ses conseils et arriva en exil en Inde en novembre/décembre 1992.
Il fut scolarisé pendant 5 ans dans un établissement tibétain. A la fin de ses études, il tenta de survivre tant bien que mal. Il a reçu de l’aide financière de la part du Gouvernement Tibétain en Exil, mais ce soutien a pris fin récemment. Norbu souhaiterait apprendre la peinture de thangka, mais également trouver une occupation qui pourrait répondre à ses besoins de base.
Le jeune homme qui a aujourd’hui environ 25 ans, est resté fortement handicapé suite à ses tortures. Il boîte très bas et souffre de sa jambe. Il ne peut se déplacer qu’avec peine. Il se fait du souci pour son avenir. Palden Gyatso à qui Norbu a confié ses soucis et sa situation précaire lui a recommandé notre association, lui certifiant que nous l’aiderions de notre mieux pour son présent et son avenir. La CAPT de Dharamsala a accepté de donner un parrainage régulier à Norbu et de trouver une solution pour qu’il puisse assurer lui-même son avenir. Des démarches sont d’ores et déjà en cours, mais aucun résultat n’a encore été obtenu à ce jour. La durée du parrainage pour Norbu devrait se porter sur deux ans, mais en cas d’études de peinture de thangka il faudra étendre ce soutien à 4, voire 5 ans. L’évolution de ce cas très particulier sera communiqué à la CAPT de Paris.
Dharamsala 19 juillet 1999
[1] Yulo Dawa Tséring, arrêté le 3 novembre 1987 condamné à 10 ans de prison pour "activités séparatistes" (libéré en octobre 1994)
[2] - Ganden Tashi
Ganden Tashi est né en 1968 à Gyama Xian, au Tibet. Il a été scolarisé de 8 à 15 ans, puis a rejoint le monastère de Ganden pour devenir moine. En mai 1988, avec trois autres moines, il organisa une manifestation en faveur d’un détenu politique tibétain. Il fut arrêté et sévèrement battu jusqu’à en perdre connaissance. Il subit des interrogatoires "musclés" durant lesquels il ne renia jamais ses idées d’indépendance du Tibet. Envoyé à la prison de Gutsa, il fut encore interrogé très souvent et battu avec violence. Ensuite ce fut la prison de Sangyip avec le même traitement et toujours son obstination à ne pas abandonner ses idées indépendantistes. Il eut à souffrir non seulement de mauvais traitements mais également de malnutrition. Soumis à des travaux humiliants, battu sévèrement, même entre prison et tribunal, cela ne l’empêche pas de former avec d’autres prisonniers un nouveau groupe de résistance pour faire circuler de l’information politique sur la situation au Tibet. Cela lui vaut de passer une année entière avec les fers aux pieds, 34 jours dans un cachot et battu quotidiennement.
Condamné à 9 ans de prison supplémentaires, deux de ses amis sont condamnés à mort et exécutés le jour même. Un troisième ami n’est épargné que grâce à une intervention et de fortes pressions internationales. En août 1992, Ganden Tashi fut transporté à l’hôpital civil de Lhassa suite à une syncope de cinq jours due à un violent coup de crosse sur le crâne. Il en sortit paralysé et dut suivre des traitements médicaux durant 2 ans. Il fut finalement "libéré" en mai 1994 pour raisons de santé, mais sa famille dut payer la moitié des frais d’hôpitaux, une somme très importante pour leurs revenus.
Ganden Tashi ne fut pas autorisé à retourner à son monastère, ni à travailler. Il n’était pas autorisé non plus à aller dans aucune école, à se rendre à aucune sorte de réunion, ni même à adresser la parole à qui que ce soit. Il restera en liberté surveillée, suivi en permanence par des policiers et photographié puis interrogé chaque fois qu’il adressait la parole à quelqu’un. Inscrit dans une école près du Norbulingka, il fut renvoyé dès que le directeur connut son passé politique. Refusant de subir plus longuement pareille oppression, Ganden Tashi choisit le chemin de l’exil le 14 octobre 1996 en compagnie de deux autres amis de détention libérés peu de temps auparavant. Après avoir rencontré le Dalaï Lama à Dharamsala, Ganden Tashi a choisi de suivre des études générales dans une école tibétaine où il reçoit gîte, nourriture et enseignement gratuitement grâce à la générosité du monastère dont dépend son école, mais il lui reste à payer ses vêtements, le matériel scolaire, une partie des frais médicaux et autres besoins secondaires de base.
Ganden Tashi garde de très sérieuses séquelles de son "accident". Chaque matin au réveil, il souffre de terribles migraines et son oeil droit est presque aveugle durant plusieurs heures.
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