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Message de Sa Sainteté le Dalaï Lama à l’occasion du 39ème anniversaire du Soulèvement national du peuple tibétain de 1959
mardi 10 mars 1998 par Bureau du Tibet, Paris
"A l’aube du nouveau millénaire, d’importants changements ont lieu de par le monde. Tandis que de nouveaux conflits se font jour, il est encourageant de voir émerger, dans beaucoup de ces régions troublées du monde, un esprit de dialogue et de réconciliation. Par certains côtés, on peut dire du vingtième siècle qu’il aura été un siècle de guerre et d’effusion de sang, mais je pense, quant à moi, que l’humanité dans son ensemble a su tirer les leçons des expériences vécues durant ce siècle. Je crois que l’humanité a mûri. Et que, par conséquent, nous pourrons, en y mettant détermination et dévouement, faire du siècle qui vient un siècle où les conflits trouveront leur solution dans le dialogue et la non-violence.
En ce jour où nous commémorons le trente-neuvième anniversaire de notre lutte pour la liberté, je veux exprimer au peuple tibétain ma sincère reconnaissance et mon grand respect pour la constance et la patience qu’il manifeste dans ses terribles épreuves. La situation actuelle au Tibet et le manque de progrès substantiel dans la solution du problème tibétain causent sans doute chez nombre d’entre eux un sentiment croissant de frustration. Et je m’inquiète que certains puissent se sentir attirés par des voies autres qu’une solution pacifique. Je comprends la difficulté de la situation mais je tiens à redire, une fois encore, l’importance qu’il y a à maintenir une ligne de conduite non-violente dans notre lutte pour la liberté. La voie de la non-violence doit demeurer une question de principe dans notre longue et difficile quête pour la liberté. Je suis convaincu que, sur ce long chemin, c’est l’approche la plus efficace et la plus adaptée à la réalité. La lutte pacifique que nous avons menée jusqu’ici nous a gagné la sympathie et l’admiration de la communauté internationale. En luttant ainsi de façon non-violente pour la liberté, nous avons également servi d’exemple et avons ainsi contribué à promouvoir, à l’échelle internationale, une culture politique de non-violence et de dialogue.
Les changements qui ont secoué le monde ont atteint aussi la Chine. Les réformes, amorcées par Deng Xiaoping, ont modifié non seulement l’économie chinoise, mais aussi son système politique, le rendant moins idéologique, moins dépendant de la mobilisation des masses, moins coercitif et moins pesant pour le citoyen moyen. Le gouvernement aussi est, de façon sensible, beaucoup moins centralisé. De plus, la politique internationale conduite par la direction qui a succédé à Deng Xiaoping en Chine semble avoir gagné en flexibilité. On peut en voir un signe dans la participation plus grande de la Chine aux réunions internationales et dans sa coopération plus étroite avec les organisations et les agences internationales. Le progrès et le succès remarquable de ce changement a été, l’an dernier, le transfert en douceur de Hong Kong sous la souveraineté chinoise et la façon pragmatique et sans heurt qu’a utilisée Pékin pour résoudre ensuite les problèmes relatifs à Hong Kong. A ceci s’ajoute également les récentes déclarations de Pékin sur la reprise des négociations avec Taïwan qui dénotent une flexibilité et une modération dans sa position. Bref, il ne fait pas de doute qu’on vit mieux en Chine aujourd’hui qu’il y a quinze ou vingt ans. Ce sont des changements historiques qu’il faut louer. Cependant la Chine connaît encore de graves problèmes sur le plan des droits de l’homme et doit faire face à d’autres considérables défis. J’ai personnellement espoir que la nouvelle direction chinoise, forte de cette confiance renouvelée, saura faire montre de prévoyance et de courage en accordant plus de liberté au peuple chinois. L’histoire nous enseigne que le progrès matériel et le confort ne sauraient être la réponse ultime aux besoins et aux attentes des sociétés humaines.
Contrastant totalement avec ces aspects positifs du développement de la Chine proprement dite, la situation au Tibet a tristement empiré ces dernières années. Récemment, il est devenu évident que Pékin met à exécution au Tibet ce que l’on peut appeler une politique délibérée de génocide culturel. L’infâme campagne « Frappez fort » à l’encontre de la religion et du nationalisme tibétains s’est intensifiée au fil des années. Cette campagne de répression - limitée au début aux monastères et aux couvents de femmes - s’est étendue maintenant jusqu’à couvrir toutes les classes de la société tibétaine. Dans certains domaines de la vie au Tibet, nous assistons au retour d’une atmosphère d’intimidation, de coercition et de peur, qui rappelle l’époque de la Révolution Culturelle.
Au Tibet, les cas de violation des droits de l’homme continuent largement à se répandre. Ces infractions aux droits de l’homme ont un caractère spécifique destiné à empêcher les Tibétains, en tant que peuple, d’affirmer leur identité et leur culture propres ainsi que leur désir de les préserver. Cette culture bouddhiste inspire au peuple tibétain des valeurs et des concepts d’amour et de compassion qui lui sont utiles pratiquement dans la vie quotidienne, d’où le désir qu’il a de la préserver. D’autre part, les violations aux droits de l’homme au Tibet résultent souvent d’une politique de discrimination raciale et culturelle et ne sont souvent que les symptômes et les conséquences d’un problème plus profond. Malgré quelque progrès économique au Tibet, la situation des droits de l’homme ne s’est donc pas améliorée. Ce n’est qu’en abordant la question de fond du Tibet que l’on parviendra à surmonter les problèmes concernant les droits de l’homme.
Il est évident que l’état pitoyable dans lequel se trouve le Tibet ne sert ni les intérêts du Tibet ni ceux de la Chine. Continuer sur cette voie n’apporte, au peuple tibétain, aucun soulagement à ses souffrances et, à la Chine, ni la stabilité ni l’unité auxquelles les dirigeants de Pékin disent accorder une importance primordiale. D’autre part, l’un de leurs soucis majeurs a été d’améliorer, aux yeux du monde, l’image et le statut de la Chine. En conséquence, leur incapacité à résoudre pacifiquement le problème tibétain ne fait que contribuer à ternir, au plan international, l’image et la réputation de la Chine. Je crois que résoudre la question du Tibet pourrait avoir à long terme des répercussions positives sur l’image de la Chine dans le monde et, également, dans ses rapports avec Hong Kong et Taïwan.
En ce qui concerne une solution mutuellement acceptable au problème du Tibet, ma position est très claire. Je ne réclame pas l’indépendance. Comme je l’ai dit à maintes reprises déjà, ce que je demande, pour le peuple tibétain, c’est qu’il ait la possibilité de s’auto-gérer afin que sa civilisation soit préservée et que puissent se développer et prospérer la culture, la religion, la langue et le mode de vie qui lui sont propres. Mon souci principal est d’assurer la survie du peuple tibétain et de son héritage culturel bouddhiste. Pour cela, il est essentiel, comme les décennies passées l’ont montré clairement, que les Tibétains puissent régler eux-mêmes toutes leurs affaires internes et déterminer librement leur développement social, économique et culturel. Je ne crois pas que les dirigeants chinois aient quelqu’objection fondamentale à élever à cet égard. Les gouvernants chinois qui se sont succédés ont toujours affirmé que la raison d’être de la présence chinoise au Tibet était d’oeuvrer au bien-être des Tibétains et de constituer une « aide au développement » du Tibet. Par conséquent, étant donné cette volonté politique, il n’y aucune raison pour que les dirigeants chinois ne puissent commencer à aborder la question du Tibet en ouvrant le dialogue avec nous. C’est le seul moyen qui convienne pour garantir la stabilité et l’unité dont les dirigeants chinois affirment que c’est là leur souci premier.
Je saisis cette occasion pour exhorter, une fois encore, les dirigeants chinois à accorder une attention sérieuse et substantielle à mes propositions. Je crois fermement que dialogue et volonté de voir la réalité du Tibet avec honnêteté et clarté peuvent nous conduire à une solution viable. Il est temps pour nous tous de « faire sortir la vérité des faits », de tirer la leçon d’une étude calme et objective du passé et d’agir avec courage, vision juste et sagesse.
Les négociations doivent avoir pour objet d’établir une relation entre le peuple tibétain et le peuple chinois, sur une base d’amitié et d’intérêts mutuels ; de garantir stabilité et unité ; et de faire que le peuple tibétain puisse exercer un droit authentique à s’auto-gérer dans la liberté et la démocratie, lui permettant ainsi non seulement de préserver et de développer sa culture unique, mais aussi de protéger l’environnement fragile du Plateau Tibétain. Il s’agit là de questions de principe. Le gouvernement chinois s’évertue à rendre confuses les questions réellement en jeu. Il allègue que nos efforts ont pour but de restaurer l’ancien système social du Tibet ainsi que le statut et les privilèges qui étaient ceux du Dalaï Lama. Pour ce qui est de l’institution du Dalaï Lama, j’ai déclaré publiquement, dès 1969, qu’il appartient au peuple tibétain de décider si cette institution doit continuer d’exister ou pas. En ce qui concerne ma personne, j’ai indiqué clairement dans une déclaration rendue publique en 1992 que, lorsque nous serons de retour au Tibet, je n’exercerai aucune fonction dans aucun gouvernement tibétain à venir. En outre, aucun Tibétain, qu’il appartienne à la communauté exilée ou à celle de l’intérieur, n’a le désir de restaurer l’ancien ordre social du Tibet. Il est donc fâcheux de constater que le gouvernement chinois continue de se livrer à une pareille propagande, déformée et sans fondement. Pour créer une atmosphère qui conduise au dialogue, cela n’est d’aucune aide et j’espère que Pékin s’abstiendra de faire de telles affirmations.
J’aimerais aussi exprimer ma sincère reconnaissance et ma gratitude aux nombreux gouvernements, parlements, organisations-non-gouvernementales, groupes de soutien au Tibet et personnes privées qui continuent à être profondément touchés par la répression au Tibet et qui insistent pour que la question du Tibet trouve sa solution par des négociations pacifiques. Les États-Unis ont créé un précédent en nommant un Coordinateur Spécial aux Affaires Tibétaines afin de faciliter le dialogue entre nous-mêmes, Tibétains, et le gouvernement chinois. Le parlement européen et le parlement australien ont recommandé de semblables initiatives.
En décembre dernier, la Commission Internationale des Juristes a publié son troisième rapport sur le Tibet, intitulé Tibet : les droits de l’homme et l’état de droit. Ces initiatives surviennent opportunément et constituent des progrès des plus encourageants. En outre, la compréhension, la solidarité et le soutien croissants qui nous viennent de nos frères et soeurs chinois, en Chine même ou hors de Chine, en faveur des droits fondamentaux du peuple tibétain et de la mise en oeuvre de la « voie du milieu » que je préconise comme approche, sont pour nous, Tibétains, une source particulière et forte d’inspiration et d’encouragement.
D’autre part, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Inde, je tiens à exprimer, de la part du peuple tibétain, nos félicitations chaleureuses au peuple et au gouvernement de cette Inde qui est devenue un second foyer pour la majorité des Tibétains en exil et je leur redis notre immense reconnaissance et notre gratitude. Pour nous, réfugiés tibétains, l’Inde n’est pas qu’un havre sûr ; elle est un pays dont l’ancienne philosophie de l’Ahimsa et la tradition démocratique profondément enracinée ont inspiré nos valeurs et nos aspirations propres et leur ont donné forme. Je crois, de plus, que l’Inde peut, et doit, jouer un rôle constructif et influent dans la recherche pacifique d’une solution au problème tibétain. Mon approche de « la voie du milieu » est en parfait accord avec la politique fondamentale de l’Inde à l’égard du Tibet et de la Chine. Il n’y a aucune raison pour que l’Inde ne s’engage pas activement à soutenir et à promouvoir des dialogues entre les Tibétains et le gouvernement chinois. Il est clair que sans paix et sans stabilité sur le Plateau Tibétain, il serait irréaliste de croire qu’une confiance véritable puisse être restaurée dans les relations sino-indiennes.
L’an dernier, nous avons mené, sous la forme d’un référendum, un sondage d’opinion parmi les Tibétains en exil et nous avons réuni des suggestions émanant des parties accessibles du Tibet. Par ce référendum, le peuple tibétain était convié à définir quelle façon de conduire notre lutte pour la liberté recueillerait sa pleine adhésion. S’appuyant sur les résultats de ce sondage et les suggestions reçues du Tibet, l’Assemblée des Députés du Peuple Tibétain, notre parlement en exil, a voté une résolution m’habilitant à continuer à agir selon mes vues personnelles, sans avoir à recourir à un nouveau référendum. Je tiens à remercier le peuple tibétain pour l’extrême confiance et l’espoir qu’il place en moi. Je continue à croire que mon approche dite « voie du milieu » est la ligne de conduite la plus réaliste et la plus pragmatique pour résoudre pacifiquement la question du Tibet. Cette approche tient compte des besoins vitaux du peuple tibétain tout en garantissant unité et stabilité à la République Populaire de Chine. Je continuerai, par conséquent, à poursuivre cette approche en m’y engageant pleinement et à faire mes plus sincères efforts pour être entendu des dirigeants chinois.
Je rends hommage au courage des hommes et des femmes du Tibet qui ont donné leur vie à la cause de notre liberté. Je prie pour que bientôt prennent fin les souffrances de notre peuple. Je prie aussi pour la paix et pour le bien-être de tous les êtres".
Le 10 mars 1998
- Sa Sainteté Le Dalaï Lama
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