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Message de Sa Sainteté le Dalaï Lama à l’occasion du 43ème anniversaire du Soulèvement national du peuple tibétain de 1959
dimanche 10 mars 2002 par Bureau du Tibet, Paris
"Il y a quarante-trois ans aujourd’hui, les Tibétains se soulevaient à Lhassa. Nous en célébrons aujourd’hui l’anniversaire et j’en profite pour réaffirmer ma conviction que le présent et l’avenir ont plus d’importance que le passé.
À la suite des évènements du 11 septembre dernier, le monde s’est fortement inquiété du problème que pose le terrorisme. Sur le plan international, les gouvernements, dans leur majorité, sont tombés d’accord pour penser que, dans la lutte qui s’engageait, il était impératif que soient joints leurs efforts et une série de mesures ont été adoptées. Malheureusement, celles-ci ont un défaut : elles ne prennent pas en compte les causes qui sont à l’origine du terrorisme. Ce qu’il faut ici, c’est une stratégie à long terme, permettant de développer une culture politique de non-violence et de dialogue, élaborée à l’échelle mondiale. La communauté internationale doit s’engager à apporter un soutien fort et efficace aux mouvements non-violents qui œuvrent en faveur de changements pacifiques. En effet, ce serait faire preuve d’hypocrisie que de condamner et combattre ceux qui se sont soulevés, poussés par la colère et le désespoir, tout en continuant d’ignorer ceux qui prônent avec constance le dialogue et la modération comme seule alternative constructive à la violence.
Nous devons tirer les leçons de nos expériences. Si nous examinons ce qui s’est produit au siècle passé, on peut voir que, parmi les causes de la souffrance humaine, la plus destructrice est le choix de la violence pour résoudre les différends et les conflits. Le défi qui nous est posé aujourd’hui consiste donc à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que ce 21e siècle soit un siècle de non-violence où les conflits seront résolus par la voie du dialogue.
Dans toute société humaine, il y a toujours des divergences d’opinions et des conflits d’intérêts. La réalité d’aujourd’hui nous enseigne pourtant que nous sommes tous interdépendants et que, sur cette petite planète, co-exister les uns avec les autres est indispensable. Cela signifie qu’aujourd’hui, qu’il s’agisse d’individus, de communautés ou de nations, la seule voie raisonnable et intelligente pour résoudre nos désaccords et nos contradictions d’intérêts, est celle du dialogue mené dans un esprit de compromis et de réconciliation. Nous devons rechercher, développer et enseigner cet esprit de non-violence et faire tous nos efforts pour que soient investis des moyens aussi importants que ceux destinés à la défense militaire.
Dans le climat actuel de tension politique, les autorités chinoises au Tibet ont continué, l’an passé, à soumettre les Tibétains de l’intérieur à de très graves violations des droits de l’homme, notamment la persécution religieuse. Cela a conduit un nombre de plus en plus élevé de Tibétains à fuir le Tibet au péril de leur vie et à aller trouver refuge ailleurs. L’été dernier, l’expulsion de milliers de moines et de nonnes, Tibétains aussi bien que Chinois, étudiants de l’institut tibétain d’études bouddhistes de Serthar au Tibet oriental, a démontré l’intensité et l’ampleur de la répression menée au Tibet. Ces violations des droits de l’homme sont la preuve flagrante que les Tibétains sont privés du droit d’affirmer et de préserver leur propre identité et leur propre culture.
Je crois que nombre des violations des droits de l’homme au Tibet sont le résultat d’une suspicion, d’un manque de confiance et d’absence de véritable compréhension de la culture et de la religion tibétaines. Comme je l’ai dit à maintes reprises dans le passé, il est extrêmement important que les autorités chinoises parviennent à une compréhension meilleure et plus profonde de la culture et de la civilisation bouddhistes tibétaines, qu’elles en estiment la valeur. Je ne peux que souscrire à la sage déclaration de Deng Xiaoping qui a dit que "a recherche de la vérité doit se faire à partir des faits". En conséquence, nous, les Tibétains devons admettre que la présence chinoise au Tibet a apporté au peuple tibétain du progrès et des améliorations. De leur côté, les autorités chinoises doivent reconnaître la destruction et les épouvantables souffrances que les Tibétains ont eu à supporter au cours des cinquante dernières années. Le dernier Panchen Lama a déclaré, le 24 janvier 1989 à Shigatsé, lors de son ultime allocution publique, que la présence chinoise au Tibet avait apporté plus de destructions que d’avantages au peuple tibétain.
C’est de leur culture bouddhiste tibétaine que les Tibétains tirent les valeurs et les concepts qui inspirent leur vie quotidienne et auxquels ils se réfèrent : la compassion, le pardon, la patience et le respect pour la vie sous toutes ses formes. C’est pourquoi ils sont attachés à les voir préservés. Malheureusement, notre culture bouddhiste et notre style de vie sont menacés d’extinction totale. Les plans de "développement" chinois au Tibet visent, la plupart du temps, à assimiler définitivement le Tibet à la société et à la culture chinoises et à noyer démographiquement le peuple tibétain en transférant massivement des Chinois au Tibet. Ceci est bien la triste preuve que la politique chinoise au Tibet est toujours dominée par les partisans d’une tendance "ultra-gauche" au sein du gouvernement chinois, même si de profonds changements ont été apportés par le gouvernement chinois et le Parti dans d’autres régions de la République Populaire de Chine. Ce n’est pas une politique digne de la fière nation et de la grande culture que représente la Chine. C’est une politique qui ne convient pas non plus à l’esprit du 21e siècle.
De nos jours, le monde tend à plus d’ouverture, plus de liberté, de démocratie et de respect des droits de l’homme. Aussi grande, aussi puissante soit la Chine, il n’en demeure pas moins qu’elle n’est qu’une partie du monde. Tôt ou tard, elle devra s’aligner sur cette tendance mondiale. Dans les mois et les années à venir, le processus de changement entamé en Chine va s’accélérer. En tant que moine bouddhiste, j’aimerais voir la Chine, pays qui réunit près du quart de la population mondiale, entreprendre ces changements de façon pacifique. Dans cette perspective, chaos et instabilité ne peuvent qu’apporter plus de souffrances à des millions d’êtres et que faire verser plus de sang. Une telle situation aurait aussi de dangereuses conséquences pour la paix et la stabilité dans le monde. De plus, en tant qu’homme je souhaite très ardemment que nos frères et sœurs chinois connaissent la liberté, la démocratie, la prospérité et la paix.
Que les changements apportent à la Chine une nouvelle vie et au Tibet l’espoir d’une vie meilleure, que la Chine apparaisse aux yeux du monde comme un acteur de premier plan, responsable, constructif et pacifique, cela dépend largement de la façon dont elle aura choisi de se définir : soit elle persiste sur la voie actuelle, en continuant de brandir les termes en taille et en nombre, de puissance militaire et de pouvoir économique ; soit elle s’engage sur une voie différente en choisissant de respecter les valeurs humaines et les principes universels et se définit par rapport à eux, comme une grande et forte nation se doit de le faire. Si c’est le second choix qui l’emporte, cela ne manquera pas d’influer largement sur l’attitude et les décisions de la communauté internationale à l’égard de la Chine. J’ai toujours attiré l’attention du monde sur la nécessité d’appeler Pékin à s’intégrer au courant démocratique général et je me suis constamment élevé contre toute idée visant à isoler ou à enfermer la Chine. Toute tentative en ce sens serait une erreur sur le plan moral et irréalisable sur le plan politique. Au contraire, dans mes actions avec le gouvernement chinois, j’ai toujours prôné la responsabilité et le respect des principes.
J’espère sincèrement que les dirigeants chinois trouveront le courage et la sagesse de choisir la négociation pour résoudre le problème du Tibet. Cela créerait un climat politique qui permettrait à la Chine non seulement d’effectuer en douceur sa transition vers une ère nouvelle, mais aussi de donner au monde une image d’elle considérablement grandie. Cela ne manquerait pas non plus d’avoir un impact fort et positif sur la population de Taiwan et, en suscitant une authentique confiance, un réel espoir, cela contribuerait grandement au développement des relations sino-indiennes. Les périodes de changement sont aussi des périodes d’opportunités. Je crois vraiment que viendra pour la Chine le jour du dialogue et de la paix parce que nous n’avons pas d’autre choix, ni elle ni nous. La situation actuelle au Tibet n’est pas faite pour soulager les souffrances du peuple tibétain ni pour apporter stabilité et unité à la République populaire de Chine. Tôt ou tard les autorités de Pékin devront regarder le problème en face. Pour ma part, je continue de croire en la politique du dialogue et je ne suis pas près d’y renoncer. Mes représentants désignés se tiennent prêts à rencontrer les délégués officiels du gouvernement chinois, en tout lieu et à tout moment, dès réception d’un signal positif de la part de Pékin.
Ma position sur le problème du Tibet est claire et sans détour. Je ne cherche pas à obtenir l’indépendance. Ce que je cherche, comme je l’ai maintes fois déclaré, c’est que le peuple tibétain se voie donner un véritable pouvoir de s’autogouverner, le droit de préserver et développer sa civilisation et d’asseoir sa culture, sa religion, sa langue et son mode vie. Pour ce faire, il est essentiel que les Tibétains puissent régler eux-mêmes toutes leurs affaires intérieures et décider librement de leur développement social, économique et culturel.
En exil, nous poursuivons notre action visant à démocratiser la politique tibétaine. L’an dernier, en mars, j’ai fait savoir aux représentants élus de l’Assemblée des Députés du Peuple Tibétain qu’il reviendrait aux Tibétains en exil d’élire le prochain Kalon Tripa (chef du gouvernement tibétain) au suffrage direct et universel. Et, en août dernier, pour la première fois dans leur histoire, les Tibétains en exil ont élu au suffrage direct Samdhong Rinpotché aux fonctions de Kalon Tripa, à la majorité de 84 pour cent. Ce jour-là un grand pas a été franchi par la communauté tibétaine en exil sur la voie du développement, de la maturité et de la démocratie. Je forme l’espoir que, dans l’avenir, le Tibet disposera, lui aussi, d’un gouvernement élu démocratiquement.
Je saisis l’occasion pour remercier aujourd’hui tous ceux qui, nombreux, ont manifesté leur soutien fidèle à notre lutte non-violente pour la liberté : membres de gouvernement, parlementaires et représentants d’organisations non-gouvernementales. J’éprouve un grand encouragement à voir des universités, des écoles, des communautés, religieuses ou laïques, des artistes et des hommes d’affaires aussi bien que des personnes venant de tous les horizons, s’efforcer de comprendre le problème du Tibet puis exprimer leur solidarité à notre cause. Je me réjouis également qu’aient pu s’établir des relations cordiales et amicales avec des Chinois, bouddhistes ou non, vivant à l’étranger et, notamment, à Taiwan. La compréhension et le soutien d’un nombre croissant de frères et sœurs chinois avertis revêtent une grande signification et sont une source d’encouragement. C’est ici l’occasion pour moi de rendre hommage également aux nombreux frères et sœurs chinois qui, de l’intérieur, ont déployé tant d’efforts en faveur de la liberté et de la démocratie en Chine et je prie pour eux. Par dessus tout, j’aimerais exprimer, au nom des Tibétains, notre gratitude au peuple et au gouvernement de l’Inde pour leur générosité et leur aide inégalées. Je suis aussi touché par le soutien croissant qu’apporte la communauté internationale à la cause tibétaine et qui prend sa source dans l’empathie propre à la nature humaine, dans la solidarité face à la souffrance d’autrui et dans l’amour de chacun pour la justice et la vérité. J’en appelle aux gouvernements, aux parlements et à tous nos amis : continuez votre action, poursuivez vos efforts avec dévouement et avec une force toujours renouvelée.
Pour terminer, je rends hommage aux femmes et aux hommes courageux du Tibet, à ceux qui ont donné leur vie, à ceux qui continuent à le faire, pour la défense de notre liberté et je prie pour que cessent rapidement les souffrances de notre peuple".
Le 10 mars 2002
- Sa Sainteté Le Dalaï Lama
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