Marche de Retour vers le Tibet - Lettre de Tenzin Tsundue, 13 mai 2008

mercredi 14 mai 2008 par Rédaction

Lettre de Tenzin Tsundue, envoyée le 13 mai depuis la Marche.
"Désormais, le Tibet n’est plus très loin".

Chers Amis,

Désormais le Tibet n’est plus très loin

Après avoir rangé mon sac de couchage tôt ce matin avant le lever du soleil, j’ai déposé avant ce long tajet un khata blanc sur l’autel dédié à Sa Sainteté (le Dalai Lama) en me promettant de poursuivre mon chemin, quoiqu’il arrive.

Marchant depuis presque 70 jours, avec 300 personnes, après avoir parcouru 900 km à travers les états Indiens d’Himachal Pradesh, Punjab, Haryana, Delhi, et Uttar Pradesh, nous avons atteint hier la ville d’Almora, dans les montagnes de Kuamon, au nord de l’Inde dans l’état de Uttarakhand (Uttaranchal).
De là le Tibet n’est pas très loin…

La “Marche de Retour au Tibet” est partie de Dharamsala le 10 mars. Ce même jour éclatèrent des mouvements de révolte, à l’intérieur du Tibet, mais aussi en de nombreux points du globe, à l’initiative des Tibétains et des partisans du Tibet : un soulèvement d’ampleur mondiale.

Nous avons commencé avec un groupe de 100 marcheurs tibétains, puis sur le parcours beaucoup d’autres se joignirent à nous. Demain au départ d’Almora en direction du Tibet par les vallées de haute montagne, nous serons 300 marcheurs tibétains, plus des étrangers de différents pays, certains marchant avec nous depuis Dharamsala.

Tout au long du parcours, les Indiens nous ont offert un accueil chaleureux, nous soutenant dans notre démarche, et nous offrant même de l’eau et un abri en certains endroits.
Le soir nous nous arrêtions, la plupart du temps, dans des Ashrams (maisons d’accueil hindoues), des Gurudwaras (temples sikhs) ou des écoles ; quelquefois sur des terrains déserts en bordure de route, où des municipalités mettaient à notre disposition des réservoirs d’eau convoyés sur des tracteurs. Les Indiens ont pour tradition de pratiquer de longs pèlerinages à travers leur pays, et l’hospitalité envers les pèlerins est ici une coutume naturelle. La police nous a assisté pour la sécurité en nous escortant en jeeps ou à motos tout au long du périple, et s’occupant des contrôles de sécurité à l’entrée des différents territoires.

Vous savez sans doute que la police indienne nous a arrêtés le 13 mars, dans le District de Kangra, et nous a condamnés à 14 jours de détention. Mais deux jours après, nous lançâmes un deuxième groupe de marcheurs qui reprit le flambeau de la Marche.
Plus tard, une fois libérés, les premiers marcheurs rejoignirent ce groupe, malgré la procédure judiciaire intentée contre nous. Fin mars, Lobsang Yeshi (un des coordinateurs de la Marche), Choeying (directeur de Students for a Free Tibet - India), et moi-même avons dû comparaître devant le Tribunal de Dehra ; et nous devons y retourner en juin.

J’ai su que certains ont pu être abusés par des medias affirmant que la Marche avait été annulée. J’ai même reçu des appels téléphoniques de gens à qui j’ai dû expliquer qu’il n’en était rien.
Craignant une vive confrontation à la frontière, Sa Sainteté (le Dalai Lama) avait effectivement recommandé aux organisateurs d’arrêter la Marche. Mais en voyant les mouvements de protestation non-violents menés si courageusement partout au Tibet, et la répression chinoise subie, encore aujourd’hui, par notre peuple, alors notre détermination devint plus forte encore, inspirée par leur sacrifice. Dans ces conditions, nous ne pouvions plus arrêter la Marche. Alors, le 19 avril, nous avons repris notre Marche de Retour au Tibet, à partir de Delhi où nous avions marqué une pause momentanée.

Après Delhi, la traversée de l’état d’Uttar Pradesh fut vraiment pénible avec la très forte chaleur, la sécheresse et la poussière. Parfois des camions et des autocars sur l’autoroute furent à deux doigts de nous percuter ; mais plusieurs fois aussi, certains s’arrêtèrent pour prendre des tracts du Mouvement que nous distribuions sur la route.
Nous marchions l’un derrière l’autre, formant une longue file s’étirant telle un mille-pattes avec un seul et long corps. Alors que la tête pouvait s’être déjà engagée dans le virage suivant, la queue était encore en train de cheminer dans les tournants précédents

Les marcheurs se réveillent vers 4 heures du matin. Après la toilette, le nettoyage et le pliage des sacs de couchage, des tentes et des matelas, suivis d’un petit-déjeuner, nous commençons notre Marche vers 5 heures. Généralement il nous faut environ 6 à 7 heures pour couvrir de l’ordre de 20 à 25 kilomètres, parfois nous parcourons jusqu’à 27 ou 28 kilomètres. L’équipe logistique et de restauration part devant avec ses camions pour aller installer le camp suivant. Dans beaucoup d’endroits, l’eau reste un luxe. Nous nous lavons en bordure de route grâce à des pompes à eau actionnées manuellement ; quelquefois des groupes de moines vont se doucher à l’abri d’un champ de blé. C’est une belle expérience que de répondre aux appels de la nature, dans des espaces ouverts, au clair de lune, avec juste une bouteille d’eau.

La plupart des marcheurs sont des moines bouddhistes qui viennent de trois universités monastiques du Sud de l’Inde. Il y a aussi plusieurs anciens qui se sont échappés du Tibet avec Sa Sainteté le Dalai Lama en 1959 : le plus âgé a 78 ans. Les plus jeunes sont deux garçons de 17 ans. Nés en Inde, ils y ont vécu toute leur enfance et n’ont jamais vu le Tibet. Il y a aussi plusieurs jeunes mamans qui sont parties après avoir confié leur famille à leurs maris.

Notre équipe de communication s’efforce de diffuser l’information vers le monde extérieur. Elle s’occupe aussi d’organiser des discussions avec les médias locaux. Le soir, lors du rassemblement après la prière quotidienne, le coordinateur média annonce les nouvelles du jour. Alors, à maintes reprises les Marcheurs se mettent à applaudir les actions de soutien au Tibet menées dans différentes régions de l’Inde et à l’étranger. Les manifestations contre la torche (olympique) à Londres, Paris, San Francisco, Canberra ou Tokyo, recueillirent leurs éloges les plus vifs. De même, celles que les Tibétains mènent actuellement à Katmandou sont appréciées à leur juste et haute valeur quand on voit la brutalité de la police népalaise.

Maintenant nous attaquons le dernier tournant de la Marche. D’Almora à la frontière il y a tout juste 200 km. Et désormais le froid va se faire sentir de plus en plus, au fur et à mesure de notre ascension dans la chaîne himalayenne.
Pour ma part, je sais que retourner dans son pays alors qu’il se trouve encore sous occupation étrangère, ce n’est pas chose facile. Les militaires chinois vont évidemment garder la frontière avec des armes automatiques, et la police indienne trouvera toujours une raison pour nous arrêter.
La confrontation est inévitable, mais nous ne nous arrêterons pas. Nous pourrions même camper près de la frontière pour une période assez longue ; il se peut aussi que nous soyions amenés à faire appel à des soutiens de l’étranger. Nous marchons en pleine incertitude.

La Marche de Retour au Tibet est un moyen pour nous de retrouver notre patrie, et de réclamer le respect de nos droits de vivre en toute liberté dans notre pays d’origine.
Quoiqu’il arrive nous sommes profondément attachés à la non-violence ; nous ne nous vengerons pas. Il se peut que nous soyons battus, mis en prison, ou même que l’on nous tire dessus, mais nous n’abandonnerons pas.
Et pour moi, il n’y a pas d’autre projet dans ma vie que cette Marche. Pour nous tous Marcheurs, c’est l’engagement de notre vie.

Pour suivre l’actualité quotidienne de la Marche, avec des photos, et les histoires personnelles sur les Marcheurs, veuillez visiter le site
Sur la Marche il y a un certain nombre de non-Tibétains – les “support marchers” – qui marchent avec nous pendant quelques jours, ou certains depuis le tout début. Si vous êtes intéressés pour nous rejoindre, veuillez contacter les Coordinateurs : Sherab Woeser (portable : 0091 - 941 839 44 26) et Lobsang Yeshi (portable : 0091-941 093 67 42 / 975 696 91 41).

Si vous habitez loin ou si vous ne pouvez pas vous joindre à nous, alors aidez-nous en relayant ce message autour de vous.

Les dons en matériels – sacs de couchage, chaussures ou matelas, … - peuvent être aussi très utiles.
Votre soutien financier, quel que soit le montant, peut aider à l’approvisonnement en nourriture et en eau pour nous aider à poursuivre. Je compte aussi sur la contribution de chaque Tibétain à ce Mouvement.

Bod Gyalo  ! (Le Tibet vaincra !)

Tenzin Tsundue, en marche vers le Tibet
Le 13 mai 2008
Almora, état d’Uttarakhand, Inde

Traduction : Damien (Dharamsala), révisée le 15 mai


Voir également l’article : Des nouvelles de la "Marche de retour vers le Tibet" qui contient également des renseignements sur Tenzin Tsundue et le documentaire du Mouvement de soulèvement du peuple tibétain


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