Le traité Tibet-Mongolie de 1913, une preuve de l’indépendance du Tibet
vendredi 14 novembre 2008 par Rédaction
" Dans les premières lignes du traité Tibet-Mongolie de 1913, le Tibet et la Mongolie attestent s’être libéré de la domination mandchoue et avoir chacun constitué un état indépendant. "
Au cours des siècles, le Tibet et la Mongolie avaient partagé des liens très forts au niveau culturel et historique. Suite à l’effondrement de la dynastie mandchoue (Qing) en 1911, le Tibet et la Mongolie déclarèrent leur indépendance puis, par la suite, signèrent en 1913 un traité d’amitié et de reconnaissance mutuelle de leurs indépendances respectives.
Parfois, l’existence de ce traité entre le Tibet et la Mongolie, tel qu’il a été conclu début 1913, a été mise en doute par certains intellectuels. Récemment, le document original de la version en tibétain (mais pas celle en mongol) du traité Tibet-Mongolie de 1913 a été redécouverte, mettant pour la première fois à la disposition des experts une part essentielle du document original. [1]
Interviewé par Phayul, le Professeur Elliot Sperling [2] fait un peu plus la lumière sur ce traité, en montrant sa portée historique par rapport aux controverses sur la question du Tibet.
Q : En quoi consiste exactement ce traité Tibet-Mongolie de 1913 ?
Elliot Sperling : Le Traité revêt exactement ce que laisse entendre son libellé. C’est un traité signé en janvier 1913 et portant les sceaux des représentants du Tibet et de la Mongolie. Dans les premières lignes du traité, le Tibet et la Mongolie attestent s’être libérés de la domination mandchoue et avoir chacun constitué un état indépendant. Suivent une série de courts articles portant, entre autres sujets, sur leur engagement mutuel de secours et d’assistance, et abordant des dispositions commerciales et financières.
Q : La version en tibétain de l’original du Traité a été retrouvée au cours de l’année dernière. Où et à quelle date précisément ? Pourquoi n’a-t-il pas été officiellement accessible plus tôt ?
E.S. : Le Traité a été retrouvé en Mongolie. Il devait être dans les archives nationales (il porte d’ailleurs le sceau de l’ancien Ministère des Affaires étrangères). Des copies ont commencé à circuler seulement en 2007. La situation politique délicate de la Mongolie (située entre l’URSS et la Chine), pendant presque tout le XXème siècle, a sûrement joué sur le fait que cette version originale soit restée inaccessible aussi longtemps.
Néanmoins, d’autres versions du traité étaient disponibles en anglais, mandarin, et mongol. Il y en avait même une en tibétain - résultant, comme celle en mandarin, d’une traduction de l’anglais (!) - réalisée par Tsepon W.D. Shakabpa [3] – et, avant que n’apparaisse le document original en tibétain, c’était la seule version accessible pour ceux qui lisent le tibétain.
La version en anglais résultait quant à elle d’une traduction d’une version en russe, cette dernière ayant probablement été rédigée à partir d’un rapport officieux des Mongols relatant l’original. Aucune de ces autres versions ne donnait une vue exhaustive de toutes les parties du texte original en tibétain, mais elles sont étonnamment fidèles à l’original sur le fond.
En résumé, les traductions se sont enchaînées à partir de la pièce originale en tibétain, qui fut d’abord traduite en mongol, puis cette version fut convertie en russe, elle-même traduite en anglais. Ce dernier a ensuite été traduit d’un côté en mandarin, et de l’autre en tibétain (par Shakabpa) à nouveau (avec des différences par rapport à l’original en tibétain).
Q : Quelle est la signification historique de ce traité daté de 1913 ?
E.S. : Sachant que l’existence même de ce traité était parfois mise en doute, la redécouverte du document original est très importante au niveau historique. Sa portée vient surtout du fait qu’il s’agit d’un document officiel dans lequel, conjointement, le Tibet et la Mongolie reconnaissent mutuellement leur indépendance, suite à l’effondrement de la Dynastie Qing.
Q : La Chine conteste l’existence et la validité de ce traité. Sur quelles bases ?
E.S. : La plupart des auteurs chinois ont dénigré ce traité, mais pas tous de la même façon. Il y a un ouvrage en mandarin qui s’évertue laborieusement à n’évoquer ce traité que sous le terme "accord", laissant entendre qu’il n’a aucune valeur au plan international. (Les mêmes circonvolutions lexicales furent utilisées pour l’Accord en 17 Points de 1951, où le terme "Accord" fut choisi pour montrer que le document en question ne constituait qu’un arrangement entre parties à l’intérieur d’un même pays, et pour le rendre inutilisable juridiquement au niveau international.)
D’autres auteurs chinois s’appuient, pour dénigrer le traité Tibet-Mongolie de 1913, sur les observations de Charles Bell [4], qui affirmait que le 13ème Dalai Lama n’aurait ni requis explicitement la signature d’un tel traité, ni assuré ensuite sa ratification.
Q : Il est incontestable que le Tibet a été totalement indépendant de toute subordination étrangère entre 1911 et 1950. Aussi le 13ème Dalaï Lama avait-il déclaré formellement l’indépendance du Tibet en 1912. Cependant, l’existence du traité entre le Tibet et la Mongolie, conclu début 1913, était sujet à discussion pour certains intellectuels.
E.S. : Cela est, je le répète, largement dû à ce compte rendu de Bell. Alfred Rubin dénigre sa validité avec l’expression "même si le traité existe vraiment", tandis que Tom Grunfeld [5] y fait allusion avec l’adjectif "prétendu". Dans l’édition 1987 de son livre sur le Tibet moderne, il affirme que le traité "se révèle être un cas classique de désinformation venant de responsables russes, colons en Mongolie". Il a omis cette mention dans l’édition de 1996.
Q : Maintenant que le texte original du traité est retrouvé, quelles sont les implications éventuelles sur le problème du Tibet, pour les experts de cette question ?
E.S. : C’est un point qui reste à étudier. Mais désormais il ne peut évidemment plus être balayé d’un revers de main.
Q : Quelle conclusion pouvez-vous tirer après avoir eu accès à l’original de ce traité méconnu, objet de tant de débats ?
E.S. : Le traité est authentique. Il existe vraiment, et il porte les signatures et les sceaux de responsables agissant avec les attributions de Ministres plénipotentiaires du Dalaï Lama, dotés des pleins pouvoirs pour conclure ce traité. Il n’y a aucun doute de par le contenu du traité.
Même si des doutes ont pu être émis, venant notamment de Charles Bell, il serait inconcevable que les Tibétains signataires aient pu fabriquer les certificats prouvant que le Dalaï Lama leur avait donné tout pouvoir pour mener à bien cette mission (je fais notamment référence à leur délégation de pouvoir accordée par le Dalaï Lama les faisant ses Plénipotentiaires), et qu’ils auraient ensuite pu masquer leur fraude à travers la formulation même du traité.
Pour comprendre les remarques de Bell sur le fait que le Dalaï Lama ait minimisé son rôle dans ce traité, on peut supposer que dans le prolongement des événements qui ont conduit par deux fois à son exil, le Dalaï Lama ne se faisait plus d’illusion sur les rapports de force autour du Tibet : alors, quand il a vu les Britanniques, informés par des rumeurs, commencer à exprimer leur désaccord par rapport à ce traité, il a sûrement préféré rester dans le vague sur le traité dans ses échanges avec Bell.
Merci beaucoup Professeur Sperling.
Source : Phayul, 12 novembre 2008
[1] Une photo de ce document est disponible sur le site de Phayul, reproduite ci-dessous.
[2] Le Professeur Elliot Sperling travaille au Département d’Etudes Eurasie-Centrale de l’Université d’Indiana (USA) où il dirige le programme de recherche sur le Tibet. Il est venu récemment à Dharamsala (siège du Gouvernement tibétain en exil en Inde) pour une conférence sur le Traité, la redécouverte de son texte original, et en décrivant ses implications. Il vient de donner de nombreuses conférences sur ce sujet dans diverses universités occidentales.
[3] Tsepon W.D. Shakabpa, 1908-1989, fut Ministre des Finances au Tibet de 1939 à 1951. Son passeport, délivré en 1948 à l’occasion d’un voyage aux Etats-unis, et retrouvé en 2003 au Népal, est une autre preuve de l’indépendance du Tibet à cette époque.
[4] Charles Bell, 1870-1945, était un tibétologue d’origine britannique et indienne. Il fut nommé correspondant politique au Sikkim en 1908. Il rencontra le XIIIème Dalaï Lama en 1910 lors du séjour en Inde de ce dernier, et en publia une biographie en 1946. Il voyagea au Tibet et visita Lhassa en 1920 puis se retira à Oxford où il écrivit une série de livres sur l’histoire, la culture et la religion au Tibet, et un dictionnaire anglo-tibétain.
[5] Tom Grunfeld est un historien de la State University de New York, spécialisé dans l’histoire moderne de l’Asie orientale, et plus particulièrement la Chine et le Tibet. Il est l’auteur de "The making of modern Tibet". Ses sources étant essentiellement fournies par le gouvernement chinois restent cependant sujettes à caution, comme cela fut dénoncé dans cet article par Students for a Free Tibet.
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