Des documents internes au Parti communiste chinois mettent en évidence une stratégie répressive planifiée au Tibet
mardi 15 juillet 2008 par Rédaction
Les numéros d’avril et mai du bulletin confidentiel "Xigang Tongxun" (Tibet Communications), destiné exclusivement aux responsables du Parti communiste chinois, révèlent que la Chine est engagée dans une série de mesures déjà décidées antérieurement pour accroître sa domination politique du Tibet.
Ce bulletin d’information dévoile que Zhang Qingli, Secrétaire du Parti au Tibet depuis 2006, avait planifié un programme de "ré-éducation" dans une note personnelle à l’attention d’autres membres du Parti Communiste. Cette prise de position montre clairement que les pourparlers (entre le gouvernement chinois et les représentants du Dalaï Lama) ne sont qu’un masque diplomatique pour cacher la politique réelle de la Chine. Ses discours, qui sont remarquablement francs et directs, montrent la réponse choisie par le gouvernement - dans un style de propagande typiquement marxiste-léniniste (voir ci-dessous) - en faveur d’une ré-éducation soutenue par les forces armées.
Le responsable du Parti au Tibet sait avoir le soutien du Président Hu Jintao, qui avait écrasé la révolte à Lhassa en 1988-89 alors qu’il était à la tête du Parti communiste chinois au Tibet (de 1988 à 1992), mettant fin à une décennie d’ouverture politique menée par Hu Yaobang. Il sait aussi avoir le soutien du bureau politique à Pékin par son mentor Wang Lequan, un fonctionnaire qui a voué sa vie au Parti et qui dirigerait les politiques au Tibet et au Xinjiang voisin. Wang s’est décrit lui-même comme la cible n° 1 des terroristes en Chine.
La révolte de mars à Lhassa a éclaté après des dizaines d’années d’administration brutale par un régime qui n’a que peu ou aucun respect pour les Droits de l’Homme. Des documents internes citent le chiffre de 18 morts, 242 blessés parmi l’armée et la police chinoises, et 120 habitations et 908 entreprises commerciales détruites à Lhassa.
De son côté le gouvernement tibétain en exil estime qu’au moins 209 Tibétains ont perdu la vie, que le nombre de blessés dépasse 1 000 personnes, et qu’au moins 5 972 Tibétains se trouvent derrière les barreaux.
En dehors des plaintes chinoises à propos d’actes séparatistes de la part du Dalaï Lama et de ses partisans, Zhang reconnaissait que "la paix sociale avait été mise à mal" au cours des manifestations anti-chinoises au Tibet.
- "Après les émeutes, les gens ont eu très peur. Ils ont même arrêté d’aller dans les monastères pour faire tourner les moulins de prières, ce qui prouve que le Dalaï Lama est un vrai criminel qui détruit la religion bouddhiste". [1]
Accusant le dirigeant spirituel tibétain d’être l’instigateur de ces troubles, Zhang, selon les écrits du Parti, disait en privé :
- "Nous devons tirer les leçons de cette épreuve, et gérer nos masses pour élever une forteresse imprenable face aux vagues l’assaillant de toutes parts, afin de terrasser notre ennemi".
- "Mais nous sommes loin de la victoire définitive, parce que les partisans du Dalaï Lama, manipulés par les forces occidentales ennemies, sont en train de préparer un nouveau plan séparatiste", disait Zhang Qingli.
- "C’est pourquoi vous, en tant que dirigeants des cellules de travail, vous devez maîtriser votre secteur et gérer vos gens efficacement. Que les chefs des comités de rue soient vigilants et attentifs à tout individu venant de l’extérieur".
- "La propagande et l’éducation sont les principaux atouts de notre Parti. Ce sont les armes les plus efficaces pour nous défendre contre les partisans du Dalaï Lama. Alors, que notre Département de la Propagande travaille plus activement et nous présente son plan d’actions".
Il est également cité pour avoir ajouté :
- "Chaque département devrait profiter au maximum de tous ces religieux qui chérissent notre mère patrie (la Chine - NDT) et la religion, pour apporter plus de vigueur au travail des comités de gestion", laissant entendre que les forces de l’ordre, les branches religieuses et toutes les directions politiques devraient appliquer ses directives.
Zhang avait auparavant attiré l’attention internationale en traitant le Dalaï Lama de "loup dans des habits de moine, un démon avec un visage humain". Il avait gravi tous les échelons de la hiérarchie au Xinjiang (Turkestan oriental) et avait obtenu le poste suprême au Tibet en 2005 en récompense de ses actions dans cette autre région troublée de l’ouest de la Chine. Depuis lors, il a accéléré les campagnes de lutte contre la culture tibétaine, a attiré de nombreux migrants hans grâce au chemin de fer, et mis en place une exploitation structurée des réserves de matières premières tibétaines.
Mais Lie Que [2], premier défenseur de la ligne du Parti au Tibet, était encore plus catégorique dans ses commentaires repris par le journal officiel "Tibet Daily" du 2 juin 2008 :
- "Il nous faut épurer les monastères et renforcer les comités de gestion. Quand ce sera fait, nous les contrôlerons totalement", déclarait-il. [3]
Auparavant les leaders chinois avaient accusé le Dalaï Lama [4] d’avoir comploté pour instaurer la "terreur" au Tibet et de conspirer avec les nationalistes ouighours au Xinjiang (Turkestan Oriental) pour attiser les tensions dans la région à l’approche des Jeux olympiques. [5]
Zhang a provoqué une vive controverse à l’occasion du relais de la flamme olympique dans son étape de Lhassa, conduisant même le Comité International Olympique à lui faire des remontrances suite à ses déclarations où Zhang avait dit :
- "Le ciel du Tibet ne changera jamais, et le drapeau rouge aux cinq étoiles y flottera haut pour toujours. Nous allons à coup sûr totalement anéantir les velléités séparatistes de la clique du Dalaï Lama".
Ces paroles furent interprétées par beaucoup comme une politisation des Jeux et une vile démonstration du régime d’oppression dominant aujourd’hui le Tibet, un pays autrefois indépendant.
La Chine, dans sa volonté extrême d’accroître son autorité et son emprise sur le Tibet dans les prochains jours, avec de multiples interdictions concernant les pratiques religieuses, les libertés fondamentales d’expression et de mouvement [3], va faire souffrir encore plus la minorité tibétaine, en portant directement atteinte à sa dignité et à son éthique morale. Les dirigeants du Parti sont persuadés que leur croisade contre les Tibétains va réussir ; ce n’est pour eux qu’une composante de leur stratégie dénuée de tout scrupule.
Source : Phayul, 13 juillet 2008 (traduction du Sunday Times à Hong Kong)
[1] De fait, il était impossible pour tout Tibétain de sortir de chez soi sans être arrêté, et certains monastères avaient été encerclés et totalement fermés par l’armée, ce qui est une autre explication au fait que les moulins ne tournaient plus... Ceci était encore valable le 10 avril, soit un mois après le début des troubles
[2] Déjà en juin 2001, l’ambassade de Chine à Paris citait l’optimisme de Lie Que : "Selon Lie Que, à l’heure actuelle, le Tibet se trouve dans une des meilleures périodes depuis sa libération pacifique où règnent la stabilité politique, l’unité nationale, le développement économique rapide, le progrès social global, et l’aisance de la vie des habitants. Seul sous la direction du Parti Communiste Chinois, en persévérant dans la voie du socialisme à la chinoise, les habitants du Tibet pourront avoir un avenir prometteur".
[3] Ce qui semble être actuellement mis en place. Voir entre autres l’article Des monastères vidés et des restrictions renforcées pour l’anniversaire du Dalaï Lama.
[4] Quelques spécialistes en Chine pensent cependant que les dirigeants ne sont pas tous d’accord, et que des dissensions pourraient apparaître sitôt que la façade d’harmonie imposée par les Jeux olympiques tombera.
[5] Le Dalaï Lama a toujours affirmé qu’il soutenait le fait que Pékin accueille les Jeux olympiques, tout en revendiquant le droit pour les manifestants pro-Tibet de pouvoir exprimer librement leur opinion s’ils s’abstiennent de toute violence.
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