Un environnementaliste et philanthrope reconnu condamné à 15 ans de prison
jeudi 1er juillet 2010 par Monique Dorizon
Pour la première fois depuis la Révolution culturelle, des intellectuels et des personnalités importantes sont ciblés plus systématiquement pour leur travail ou point de vue.
Le procès de Karma Samdrup se déroule dans un contexte de répression accrue où presque toute expression de l’identité tibétaine ou de son soutien peut être qualifiée de "réactionnaire" ou "d’espionnage".
Karma Samdrup était accusé d’avoir acheté des antiquités tibétaines pillées dans des tombes, une accusation vieille de plus de 10 ans. Pour ses proches, cette très lourde accusation n’est qu’un prétexte pour punir cet environnementaliste d’avoir pris la défense de ses deux frères, arrêtés en août 2009, après avoir osé accuser des officiels locaux de se livrer à un commerce illicite d’espèces animales en danger. Le cas est très différent de celui des cas politiques tibétains impliqués dans des manifestations depuis le printemps 2008. Dans le cas présent, il n’y a aucune activité politique ou opposition aux activités minières développées au Tibet.
"Karma Samdrup fait partie de ces Tibétains modèles qui parlent chinois, ne se mêlent pas de politique, et que le pouvoir laissait tranquille jusqu’alors".
Karma Samdrup (ch : Gama Sangzhu) est un homme d’affaires, environnementaliste et philanthrope tibétain très connu. Il est âgé de 42 ans, grand collectionneur d’art tibétain et fondateur de l’ONG "Groupe pour la Protection environnementale des Trois Rivières", plusieurs fois récompensée.
Le 3 janvier 2010, Karma Samdrup a été détenu à la suite de ses efforts infructueux pour obtenir la libération de ses deux frères, Chime Namgyal et Richen Samdrup, emprisonnés le 9 août 2009 pour avoir voulu maintenir les animaux sauvages dans leur région d’origine dans la Préfecture de l’Amdo appartenant à la Région autonome du Tibet. Selon certains témoignages tibétains il y aurait eu à cette époque des heurts avec la police.
Karma Samdrup a été transféré par les autorités de son lieu d’habitation dans le Comté de Gonjo [1] vers le Xinjiang.
Au moment de son arrestation, Karma Samdrup s’employait à la création d’un Musée de la culture tibétaine, et était considéré par les Tibétains comme possédant la plus importante collection privée d’objets d’art tibétain au monde.
La femme de Karma Samdrup, Dolkar Tso (ch : Zhengga Cuo) et Pu Zhiqiang, avocat, ont raconté à l’agence Associated Press qu’il avait été présenté ce jour (22 juin 2010) au Tribunal du Comté de Yanqi [2], apparaissant "décharné et diminué". Il aurait perdu 30 kilos depuis le début de sa détention. Ils rapportent aussi que Karma Samdrup avait dit à la Cour que durant les mois d’interrogatoire, et notamment au Centre de détention du Bureau de la Sécurité publique (PSB) de la Préfecture de Bazhou, les fonctionnaires l’avaient battu, l’avaient privé de sommeil pendant des jours, et l’avaient drogué avec une substance qui faisait saigner ses yeux et ses oreilles.
Dans un blog créé juste après le jugement, Dolkar Tso écrit : "S’il n’y avait pas eu sa voix, je ne l’aurais pas reconnu". Alors qu’il parlait devant la Cour, il s’est arrêté un instant puis a dit : "Aujourd’hui mes amis et mes proches sont ici et il y a probablement beaucoup de choses que je ne dirai pas.
Ce que nous avons entendu ensuite a dépassé le pire de ce que nous pouvions imaginer, nous avons entendu la description de centaines de méthodes de torture cruelles différentes, de maltraitance perpétuelle, de drogues et instruments de torture jusqu’ici inconnus, des tactiques douces et sévères, et même de codétenus, en groupe, le frappant pour obtenir des aveux. Ces détenus étaient menacés par l’administration pénitentiaire d’être punis collectivement s’il ne signait pas ses aveux. Il n’a pas cédé. S’il ne voulait pas révéler certains détails, il serait torturé mentalement. S’il voulait manger ou aller aux toilettes, il devait écrire une reconnaissance de dette, qui s’élève déjà à 660 000 RMB (80 000 euros environ). La nourriture achetée était tout d’abord écrasée au pied ; des coups donnés sans raison, c’était habituel et cela est advenu un nombre incalculable de fois. Il a été suspendu en l’air plusieurs heures durant et soumis au supplice du "tabouret du tigre" consistant à demeurer accroupi pendant des heures, les mains attachées derrière le dos.
Les "confessions" de deux détenus obtenus par le Procureur, sans doute sous la contrainte, ont suffi pour faire condamner Karma Samdrup.
Karma Samdrup a dit d’une voix triste qu’il s’était déjà préparé à la mort et avait rédigé une lettre pour dire à ses proches ce qu’ils avaient à faire.
A l’entendre, deux interprètes âgés avaient les yeux rouges et éclatèrent en sanglots. Les avocats avaient les larmes aux yeux.
Le 24 juin 2010, à la suite d’un procès de plus de 12 heures, Karma Samdrup a été condamné à 15 ans de prison et 5 ans de privation de ses droits civiques ainsi qu’au versement d’une amende de 10 000 yuans (6 700 € environ) par la Cour du district de Yanqi [2], a rapporté son avocat.
Karma Samdrup a nié les faits et a exprimé son intention de faire appel. Il est vraisemblablement incarcéré au centre de détention du PSB de Yanqi. |
Des proches, et notamment les frères de Karma Samdrup, subissent une répression sévère.
Parmi les proches, il faut citer Sonam Choephel qui a été condamné à un an et demi de rééducation par le travail pour avoir fait une pétition contre la détention de Rinchen Samdrup et Chime Namgyal, frères de Karma Samdrup, en décembre dernier à Pékin.
Vingt villageois originaires de Gonjo [2], région du domicile des frères, ont été détenus à Chamdo, interrogés et torturés pendant 40 jours après être allés à Pékin pour pétitionner contre la détention des deux frères.
La situation d’un autre cousin, un moine du nom de Rinchen Dorje, à la suite de sa détention par la police en mars, n’est pas claire.
Rinchen Dorje, moine bouddhiste qui parle chinois, avait été l’interprète de Karma Samdrup en 1998, alors qu’il cherchait des Antiquités au Xinjiang. Il a vraisemblablement été arrêté en mars de cette année et emmené par les autorités au Xinjiang, puis dans la Région autonome du Tibet après une tentative d’évasion. Quand ses proches ont tenté de le retrouver dans la Région autonome du Tibet, ils n’ont pas pu le localiser dans le système judiciaire et carcéral.
La mère de Karma Samdrup, âgée de plus de 70 ans a été battue jusqu’à l’inconscience par la police, dirigée par un fonctionnaire du Parti de la Préfecture de Chamdo du nom de Chen Yue, lorsque Rinchen Samdrup et son frère Chime Namgyal ont été emmenés de leur habitation vers leur lieu de détention en août 2009.
Deux frères de Karma Samdrup, Rinchen Samdrup et Chime Namgyal, défenseurs de l’environnement, ont été arrêtés en 2009 pour "séparatisme" et "organisation illégale" après avoir dénoncé un officiel qui organisait des chasses dans une réserve naturelle du Tibet.
- Rinchen Samdrup, 44 ans, frère aîné de Karma Samdrup, devait à l’origine être jugé le jeudi 24 juin 2010 à Chamdo pour "atteinte à la sécurité de l’Etat", grave accusation, mais le procès a été subitement annulé, selon Pu Zhiqiang, avocat chinois, représentant Karma Samdrup.
Rinchen Samdrup a été arrêté chez lui avec son jeune frère Chime Namgyal après qu’ils aient accusé des fonctionnaires locaux de chasser illégalement des espèces en danger dans leur région. On craint que Rinchen Samdrup ne reçoive une lourde peine.
Depuis son arrestation en août 2009, il est enfermé au Centre de détention de Chamdo. Selon des sources tibétaines et chinoises, quand sa famille a voulu connaître sa situation le mois dernier, le tribunal a répondu que son cas avait déjà été présenté devant les tribunaux à Lhassa. Alors, quand Xia Jun, son avocat originaire de Pékin, est allé de Pékin à Lhassa pour s’enquérir du cas, les tribunaux de Lhassa lui ont répondu qu’ils n’avaient aucun détail à ce sujet.
Dans les journaux "Le Quotidien du Peuple" et "Nouvelles de la Jeunesse de Pékin", Rinchen Samdrup est montré comme ayant été primé pour son travail en faveur de la protection environnementale par les "Subventions de la Compagnie des Moteurs Ford pour la Conservation et la protection environnementales".
Ces deux articles ont été publiés alors même que Rinchen Samdrup était en détention.
Un livre salué par la critique, écrit par le journaliste de l’environnement Liu Jianqing, décrivait le travail et la vie de Karma Samdrup et Rinchen Samdrup. Le plus récent des livres écrit sur eux a pour titre "Tianzhu" (Perles célestes) publié l’an dernier par la maison d’édition gouvernementale.
L’organisation écologiste de Rinchen Samdrup et Karma Samdrup a aussi gagné l’an dernier un prix d’un million de yuans (117 000 € environ) comme "Projet modèle" attribué par la Fondation "The One", œuvre de bienfaisance créée par Jet Li, star du cinéma d’arts martiaux chinois. En 2006, la chaîne de télévision nationale CCTV a même nommé Karma Samdrup "Philanthrope de l’année" pour avoir su "créer une harmonie entre les hommes et la nature".
- Chime Namgyal, 38 ans, handicapé, autre frère de Karma Samdrup aurait été torturé alors qu’il purge une peine de 21 mois de rééducation par le travail pour "atteinte à la sureté de l’Etat" selon des sources locales. Il y a juste une semaine, sa santé s’est terriblement détériorée et il a été emmené à l’hôpital. Selon les mêmes sources, il ne pouvait plus marcher et manger seul et le personnel du centre de détention craint qu’il ne meure en prison.
Le Comité de l’organisation de la rééducation par le travail de la Préfecture de Chamdo prétend que Chime Namgyal a créé une organisation écologiste "illégale" qui a "récupéré illégalement trois disques durs d’information et des images vidéo sur l’environnement, les ressources naturelles et la religion à la Préfecture de Changdu et a transmis des images et du matériel pour la revue illégale "Montagne interdite, Chasse interdite". Elle l’accuse aussi de posséder du matériel de "propagande réactionnaire de la clique du Dalaï à l’étranger" et d’avoir amené les habitants de la région à faire une pétition illégale contre les autorités, donc d’interférer contre les organisations d’Etat au niveau local et de faire effectivement du tort à la stabilité sociale".
Karma Samdrup est détenu pour ce qui est considéré comme une invention : avoir déterré et volé dans des tombes anciennes (et acheté) – une accusation précédemment cassée et abandonnée en 1998. A l’époque Karma Samdrup avait déjà été torturé lors de sa détention.
L’écologiste et philanthrope, connu pour son importante collection d’objets culturels tibétains, a été arrêté à Chengdu, capitale de la Province du Sichuan, au début du mois de janvier 2010. Il a été emmené au Xinjiang car c’est le lieu d’origine des accusations.
L’avocat Pu Zhiqiang, a dit à des reporters étrangers basés à Pékin qu’il ne savait pas pourquoi les accusations avaient refait surface après si longtemps : il ne s’y attendait pas. Cette affaire était si ancienne et la police du Xinjiang avait déjà rendu un jugement reconnaissant que Karma Samdrup n’était pas coupable et les voleurs de tombe avaient déjà été punis.
Bien que le jugement ait eu lieu au Xinjiang, quelques observateurs bien informés pensent que ce sont les autorités de la Région autonome du Tibet qui mènent la procédure, du fait des intérêts des fonctionnaires locaux en jeu dans le travail de ses frères.
L’avocat Pu Zhiqiang a aussi émis de sérieuses inquiétudes sur les embûches mises par les autorités dans le cas de Karma Samdrup ; ce que l’organisation Human Rights Watch considère comme des violations de la Loi Pénale chinoise : on lui a interdit de voir quiconque, y compris sa femme et ses avocats pendant plus de 6 mois suivant son arrestation, et le tribunal a refusé aux avocats de Karma Samdrup de photocopier les 70 pages du dossier de l’accusation afin de préparer leur défense, insistant pourtant sur le fait qu’ils n’en photocopiaient que des extraits.
Dans une lettre adressée à la Cour, Pu Zhiqiang a écrit : "Je dois dire que bien que nous ayons pensé avoir contourné plusieurs difficultés, en fin de compte parce que le cas est complexe, parce que c’est ancien et parce que le dossier est confus, nous avons rencontré des obstacles à l’exercice de notre profession et rencontré d’extrêmement sérieuses difficultés".
Pu Zhiqiang, et la femme de Karma Samdrup se sont également plaints de multiples irrégularités lors du procès, telles que l’apport de fausses preuves et faux témoignages, l’utilisation de nouveaux documents qui annihilaient les preuves favorables à Karma Samdrup.
L’acte d’accusation a été traduit du chinois en un dialecte tibétain différent de celui qui est connu de Karma Samdrup, l’empêchant de le comprendre.
Pu Zhiqiang s’interroge aussi sur la légitimité de la Procureur Kuang Ying, vraisemblablement transférée pour ce cas du Bureau régional des Procureurs du Xinjiang, en violation des lois. Elle a nié la violence exercée sur Karma Samdrup.
Sources :
Phayul , 22 juin 2010.
Radio Free Asia, 22 juin 2010
International Campaign for Tibet, 24 juin 2010.
Radio Free Asia, 24 juin 2010.
Tibetan Review, 24 juin 2010.
Aujourd’hui la Chine, 25 juin 2010.
Libération, 26 juin 2010.
NB Entre les différentes sources, si les faits concordent, de légères différences peuvent être notées (Karma Samdrup aurait perdu 15 ou 30 kgs, il aurait eu des saignements de nez ou d’oreilles...)
[1] Le Comté de Gonjo est à l’est de la "Région autonome du Tibet", au sud-est de Chamdo, entre Jomda et Markham. Gonjo (en chinois Gòngjué - 贡觉县) peut être localisé sur cette carte.
[2] Le Comté autonome hui de Yanqi (ch. 焉耆回族自治县) se situe dans la province occidentale du Turkestan oriental, en chinois Xinjiang. Yanqi peut être localisé sur cette carte.
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