Tsering Woeser ne pourra pas recevoir en main propre le "Prix international du Courage féminin"
vendredi 8 mars 2013 par Rédaction , Monique Dorizon
L’écrivaine tibétaine Tsering Woeser a dédié le "Prix international du Courage féminin" aux personnes tibétaines s’étant auto-immolées au Tibet pour protester contre l’occupation chinoise.
Bien qu’étant la plupart du temps virtuellement assignée à résidence et subissant toutes sortes d’interdictions, Tsering Woeser parvient à transmettre des informations de première main grâce à ses tweets et articles sur son blog, devenus pour le monde extérieur une source essentielle d’information sur le Tibet.
Tsering Woeser écrit en chinois mais de nombreuses traductions en anglais se trouvent sur le site High Peaks Pure Earth.
Tsering Woeser, 44 ans, actuellement en résidence surveillée du fait des restrictions liées à une sécurité renforcée après la session parlementaire de la Chine, a dit que la reconnaissance du gouvernement des États-Unis lui faisait ressentir des "sentiments mitigés".
"Pour moi personnellement, c’est un grand honneur", a déclaré Woeser. "En tant qu’écrivain, j’adhère au concept de l’écriture : écrire comme un voyageur, écrire comme un pèlerin, écrire comme un témoin. À mon avis, les voyages, le pèlerinage, et le témoignage constituent entre eux une relation de cause à effet. Et le témoin, en fait, c’est la voix".
Annonçant l’attribution du Prix ce lundi [1], le Département d’État américain a déclaré que Woeser "était apparue comme étant l’activiste continentale la plus importante s’exprimant publiquement sur les Droits de l’Homme des citoyens tibétains en Chine" dans une période marquée par l’augmentation des auto-immolations et des manifestations au Tibet.
Le Département d’État a reconnu que le site de Woeser, "Invisible Tibet", avec sa poésie et basé sur le réel, et sa participation à des plates-formes de médias sociaux comme Twitter, avait "donné une voix aux millions de Tibétains empêchés de s’exprimer vers le monde extérieur du fait des efforts du gouvernement pour freiner la circulation de l’information".
"Malgré la surveillance constante d’agents de sécurité et systématiquement placée en résidence surveillée pendant les périodes jugées politiquement sensibles, Tsering Woeser persiste courageusement à documenter sur la situation des Tibétains, en notant que « porter témoignage, c’est donner une voix », et affirmant que « plus de 100 Tibétains ayant exprimé leur désir de résister aux forces d’oppression en mettant leurs corps en feu est la raison pour laquelle je ne vais pas abandonner, ni faire de compromis".
"Je veux dédier ce prix à plus d’une centaine de personnes, qui ont mis leur corps en feu, et à leurs familles" [2], a ajouté l’écrivaine tibétaine.
En 2012, "Invisible Tibet" a été récompensé par le public dans un sondage réalisé dans la compétition du Meilleur des Blogs, organisée par la radio allemande Deutsche Welle.
Woeser a remercié les États-Unis pour ce Prix et a déclaré qu’il reflétait la préoccupation internationale sur les immolations au Tibet.
"Je suis reconnaissante au Département d’État américain de m’avoir attribué le Prix international du Courage féminin", dit Woeser. "Je me plais à penser que ceci tend à montrer leur préoccupation devant les immolations sur le plateau tibétain".
Tsering Woeser a en outre exprimé sa déception de ne pas être en mesure de recevoir le Prix en personne.
"Malheureusement, je ne peux pas recevoir le Prix en personne. En fait, pour le moment, non seulement je ne peux pas recevoir le Prix, mais j’ai été placée en résidence surveillée".
"Le gouvernement chinois ne m’a pas donné de passeport", dit-elle. "Les fonctionnaires de l’Ambassade américaine à Pékin ont essayé vaillamment, mais la Chine ne m’accordera pas de passeport". En refusant systématiquement de lui délivrer un passeport, la Chine "trahit sa faiblesse", a expliqué Woeser à l’AFP [3].
Tsering Woeser dit que la police surveille actuellement son logement à Pékin et cela pour toute la durée de la session parlementaire du Congrès National du Peuple ce mois-ci [4]. Cela va durer jusqu’à la fin de la session.
"Il y a un garde devant ma maison à cause de la session parlementaire, et je dois aller faire mes courses dans une voiture de police". "Je n’ai aucune liberté de mouvement".
"Aujourd’hui (7 mars 2013), vers 19h (heure locale) j’ai vu que deux fonctionnaires de la sécurité stationnaient devant la porte de l’ascenseur de mon immeuble", raconte Woeser.
"Ils avaient l’air gentil, mais mes mouvements sont encore plus limités qu’avant".
"Ils pensent que l’Ambassade des États-Unis peut organiser une cérémonie (pour moi) et que si cela a lieu, il y aura des médias. Aussi, m’a-t-on dit que je ne pouvais pas sortir".
Les 10 lauréats de cette année seront présentés le vendredi 8 mars par le Secrétaire d’État John Kerry, rejoint par la Première dame, Michelle Obama, pour une cérémonie à l’Auditorium Dean Acheson au Département d’État américain.
Le Prix du Secrétaire d’État pour les Femmes de courage récompense chaque année les femmes du monde entier qui ont fait preuve de courage et de leadership exceptionnel dans la défense des droits et la responsabilisation des femmes, souvent au péril de leur vie. Depuis la création du prix en 2007, le Département d’État a rendu hommage à 67 femmes de 45 pays différents.
Ce n’est pas la première fois que Woeser sera interdite de réception de son prix en personne. L’an dernier, elle a été empêchée de recevoir le Prix Prince Claus [5], décerné chaque année par le Fonds néerlandais Prince Claus pour ses réalisations exceptionnelles dans le domaine de la culture et du développement.
De même, elle n’a pas pu recevoir de Prix 2007 pour la liberté d’expression de l’Union norvégienne des écrivains à Oslo et le Prix "Courage en journalisme" 2010, de la Women International Media Foundation à New York.
Sources : Phayul, 5 mars 2013, Tibetan Review, 6 mars 2013, Radio Free Asia, 6 mars et Radio Free Asia, 7 mars 2013.
N.B. Une biographie de Woeser est disponible sur le site "le Tibet invisible"
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[1] le 04 mars 2013
[2] Voir l’article et la carte récapitulative des immolations.
[3] Cette position rappelle celle qu’avait adoptée Pékin lors de l’attribution du prix Nobel de la paix 2010 au dissident et intellectuel Liu Xiaobo, qui purge depuis 2009 une peine de 11 ans de réclusion. Pékin avait reproché au Comité Nobel une "ingérence" injustifiée dans ses affaires intérieures.
[4] Le Congrès, qui a débuté le 5 mars 2013, a été précédé par la Conférence Consultative Politique du Peuple Chinois le 3 mars. Il doit durer environ deux semaines. (Source)
[5] Voir l’article "Un mois d’assignation à résidence et interdiction de recevoir un Prix honorifique pour la blogueuse Woeser", du 02/03/2012.
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