Réponses de B. Kouchner aux questions d’actualité à l’Assemblée nationale et aux Quotidiens Libération et Le Parisien
vendredi 28 mars 2008 par Rédaction , Monique Dorizon
Réponses du Ministre des Affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner, aux questions d’actualité à l’Assemblée nationale
(Paris, 25 mars 2008)
Vous avez raison de lier les Jeux Olympiques et les Droits de l’Homme : l’olympisme, c’est avant tout la fraternité, le respect de l’autre et donc le respect des Droits de l’Homme.
Vous nous demandez ce que nous allons faire, puisque la Présidence française débutera le 1er juillet. Mais nous n’avons pas attendu cette perspective pour nous manifester. Dès le 14 mars dernier, le Conseil européen a demandé l’arrêt des violences. Le mardi suivant, nous avons répété qu’il fallait que cessent les violences et que les journalistes soient autorisés à se rendre sur le terrain pour constater ce qui se passait. Nous avons entendu l’appel de Robert Ménard, qui n’a d’ailleurs pas demandé le boycott des Jeux olympiques - le gouvernement non plus, c’est sa position officielle - mais l’organisation de manifestations pendant l’ouverture des Jeux.
Que peut-on faire ? Il faut parler avec les Chinois et avec les Tibétains : comme l’indiquait hier le président de la République, nous devons essayer de contribuer à ce dialogue si nécessaire. Mais je voudrais également dire à nos amis chinois que leur combat n’est pas bon : d’après nos connaissances, ils se trompent en pensant que le Dalaï Lama menace leur intégrité territoriale. Et je serais surpris que 1,3 milliard de Chinois soient menacés par quelques millions de Tibétains…
Ce qui est en jeu, ce sont les Droits de l’Homme, mais aussi et surtout une identité culturelle et religieuse que les Tibétains veulent vivre pleinement, et qui est très bien représentée par le Dalaï Lama, l’un des plus grands apôtres du pacifisme : je peux me tromper, mais je ne pense pas qu’il ait jamais souhaité la violence. Pour notre part, nous ne cesserons pas de prôner la fin des violences actuelles./.
III.- CHINE - TIBET
(Paris, 25 mars 2008)
Nous disons "nos amis chinois" comme nous disons "nos amis américains" ou "nos amis anglais"… C’est une façon de s’exprimer qui peut convenir lorsque l’on a quelque chose à demander. Il faut aussi tenir compte du fait que le peuple chinois lui-même n’est pas bien informé.
Nous nous adressons aux dirigeants chinois pour leur demander de bien vouloir renouer le dialogue avec les Tibétains qui, depuis 2002, a échoué à six reprises. Comment y parvenir ? Pour dialoguer, il faut être deux. Les Tibétains y sont résolument prêts. Pour ce qui est des Chinois, je me suis entretenu hier pendant une heure et demie avec mon homologue chinois, lequel prétend que la "clique du Dalaï Lama" les a attaqués. Tout d’abord, je lui ai fait valoir que ce n’était pas une façon de s’exprimer parlant du Dalaï Lama - lequel est toujours le bienvenu en France et ne me semble pas être dans cet état d’esprit. Ensuite, je lui ai fait observer que le Dalaï Lama assurant n’être pour rien dans les événements qui ont eu lieu au Tibet et n’avoir donné aucun ordre, il convenait de vérifier cela, et donc que la Chine accepte que des journalistes, sans doute aussi des diplomates et des parlementaires, se rendent sur place. Nous nous y employons. Si les vingt-sept ministres européens des Affaires étrangères réunis à Ljubljana vendredi prochain (28 mars) parvenaient à adopter un texte commun redonnant espoir aux deux parties - il est certes difficile de considérer de la même façon toutes les victimes, mais toutes sont à déplorer, qu’elles soient tibétaines, chinoises, musulmanes… -, ce serait un atout pour la position que défend la France./.
IV.- CHINE - TIBET
(Paris, 25 mars 2008)
Je comprends votre inquiétude, et même votre indignation. Je les partage. Mais enfin nous n’avons pas attendu dimanche pour réagir, ou alors c’était celui d’avant ! C’est même dès le vendredi (14 mars) que nous avons réagi avec l’Europe des 27 en condamnant les violences et en appelant à la négociation, et nous n’avons eu de cesse de réitérer notre position depuis. Rama Yade l’a fait hier (27 mars) ; tout à l’heure encore à Tarbes, alors que notre pays a toujours été favorable au maintien des Jeux Olympiques, le président de la République a dit que toutes les options étaient ouvertes.
Nous souhaitons que l’évolution pacifique et l’apaisement que nous appelons de nos vœux permettent aux Jeux olympiques de se tenir, mais nous souhaitons aussi - et plus que tout - que les Droits de l’Homme soient respectés./.
V.- entretien du Ministre des Affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner, avec le Quotidien Libération
(Paris, 26 mars 2008)
Q - On vous reproche d’être très discret sur le Tibet. Vous êtes-vous
converti à la Realpolitik ?
- R - Je me suis exprimé dès le 14 mars pour condamner les violences. Mais les Droits de l’Homme ne peuvent pas résumer une politique. Du moins quand on est responsable du ministère des Affaires étrangères. C’est une exigence, mais cela ne peut pas être la seule politique, hélas.
Q - Vous ne vous sentez pas en porte-à-faux parfois au sein du
gouvernement ?
- R - Je n’étais pas très content pour l’affaire Kadhafi, mais je l’ai
manifesté. Il faut prendre en compte les intérêts multiples, dont les
Droits de l’Homme.
Q - Bernard Kouchner ne peut pas faire plus sur le Tibet ?
- R - Si on veut ne pas être suivi, on peut. Mais qu’est-ce qu’on peut faire de plus sur le Tibet ? Il y a dix jours, j’ai dit que j’étais prêt à recevoir le Dalaï Lama. Mitterrand et Chirac ne l’ont jamais reçu en visite officielle. Nous avons appelé "l’attention des autorités chinoises au respect des Droits de l’Homme à l’approche des Jeux olympiques" : c’est assez clair, non ?
Q - Votre passé de "French doctor" ne suscite-t-elle pas une attente
particulière à votre endroit ?
- R - J’ai toujours dit que la politique et l’humanitaire, les Droits
de l’Homme étaient imbriqués, j’ai même été très critiqué pour cela.
J’écoute avec beaucoup d’attention ce que disent les militants, mais
un ministre des Affaires étrangères ne peut pas avoir la même
liberté. Et pas seulement pour le Tibet. Sauf à démissionner le
lendemain. Le jour où je trouverai cela insupportable, il faudra que
je m’en aille. Je demeure un militant des Droits de l’Homme. Regardez
ce que nous avons fait pour le Darfour avec l’Eufor (force européenne
dans l’Est du Tchad), qui va sécuriser un demi-million de personnes.
Q - Quelle est votre marge de manœuvre ?
- R - Peut-être que je ne l’utilise pas assez. Mais sur le Tibet, les
choses évoluent. Lors du dernier conseil des ministres, j’ai dit que
les Chinois se trompaient de manière assez virulente. Nous avons eu
un débat avec le président et les ministres, ce qui n’est pas très
fréquent.
Q - Cherchez-vous à ménager la Chine dont le soutien est
indispensable sur les dossiers de l’Iran ou du Darfour ?
- R - Nous sommes aussi contraints de ménager un certain nombre d’intérêts économiques pour ne pas creuser le chômage : cela
s’appelle gouverner. Mais ce n’est pas pour cela que nous ne disons
rien.
Q - Le président Sarkozy vous a-t-il déjà rappelé à l’ordre ?
- R - Il ne m’a jamais donné d’ordre. Une fois il m’a donné un conseil sur l’Afrique. Mais il ne m’utilise pas. Personne ne m’a jamais
dit : "Tais-toi !"
Q - N’êtes-vous pas dans une position schizophrénique ?
- R - C’est le boulot ! Aucun ministre des Affaires étrangères n’a pu
dire ce qu’il veut et durer plus de huit jours./.
VI.- entretien du Ministre des Affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner, avec le Quotidien Le Parisien
(Paris, 26 mars 2008)
Q - Certains s’étonnent de la réaction timide de la France au sujet
du Tibet. D’autres pays ont réagi plus vigoureusement...
- R - C’est vrai. Le terme "retenue" employé à propos des événements n’était pas très heureux et nous l’avons modifié. Militant des Droits de l’Homme et ministre des Affaires étrangères, ce n’est pas
exactement le même rôle. Mais je ne suis pas complètement incompétent. Je ne vais pas dresser ici la liste des prix des Droits
de l’Homme que j’ai reçus dans ma vie. Quand on est au gouvernement,
on ne dit pas n’importe quoi. Dans cette affaire, il faut être efficace.
Q - Jack Lang vous appelle à sortir de votre réserve ?
- R - En 1988, j’étais secrétaire d’Etat à l’Insertion sociale. J’ai
fait un papier dans "Le Monde" qui m’a valu une volée de bois vert de
mon Premier ministre Michel Rocard, du ministre des Affaires
étrangères Roland Dumas et du président Mitterrand parce que je
parlais des Tibétains et que je disais : "Ces gens ont des droits
culturels qu’il faut respecter". Ca a été terrible ce que j’ai pris.
La même année j’ai reçu clandestinement le Dalaï Lama, seul. Je l’ai
vu plusieurs fois, on se connaît bien. Comment peut-on croire une
seconde que j’aie basculée de l’autre côté ? Je n’accepte pas ces
leçons. Mais je dis que pour faire accepter certaines avancées aux
Chinois, mieux vaut ne pas les braquer. On doit tenir compte de la
réalité. J’ai reçu hier matin une pétition de 220 intellectuels en
faveur du Tibet. Je me suis posé la question : faut-il la signer ?
Non, je pense être plus utile là où je suis. Lorsque j’aurai quitté
le Quai d’Orsay, alors oui, je recommencerai à signer ce genre de
texte.
Q - Que peut faire la France ?
- R - Pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, nous verrons en fonction de l’évolution de la situation. Nous allons en parler à
Vingt-sept, vendredi (28 mars), lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne. Ce serait formidable si nous
pouvions dégager une position commune. Mais boycotter les Jeux
n’aurait aucune efficacité, on a bien vu ce qui s’est passé à Moscou
en 1980, cela n’a rien changé. Par ailleurs, le Dalaï Lama ne réclame
pas le boycott. Ne soyons pas plus tibétains que les Tibétains.
Souvenez-vous du poing levé des athlètes noirs aux Jeux olympiques de
Mexico en 1968. Une image qui a fait le tour du monde. J’observe avec
intérêt toutes les initiatives avant et pendant les Jeux.
Q - La situation va-t-elle durer au Tibet ?
- R - Oui. Le mouvement repose sur quelques chose de profond. Les Chinois ne s’en rendent pas compte. Parler de clique à propos du
Dalaï Lama, cela n’est pas très supportable. Cet homme a été Prix
Nobel de la paix, on ne peut pas l’accuser de mensonges, de calculs,
d’arrière-pensées. Il est ouvert au dialogue et ne réclame pas
l’indépendance. C’est l’interlocuteur tout désigné. Les Chinois doivent l’admettre.
Q - Quelle est la bonne manière pour parler aux Chinois ?
- R - Ne pas les offenser. Avoir de la patience, de la patience, de la patience. Ils finiront par comprendre que quelques millions de
Tibétains ne menacent pas un milliard trois cent millions de Chinois.
Les Tibétains sont très cultivés, profondément humanistes. J’espère
que la répression va cesser ; si les arrestations se poursuivent, il
faudra se montrer encore plus ferme.
Q - La politique étrangère française n’oublie-t-elle pas les Droits
de l’Homme ?
- R - Les Droits de l’Homme ne peuvent pas résumer une politique
étrangère. C’est une exigence, une nécessité, une aspiration
constante. Je reste un vrai militant des Droits de l’Homme.
Q - Vous être blessé par les critiques ?
- R - Oui, parce que je suis un sentimental. Mais politiquement ça ne me touche pas. Je connais les jeux de rôle auxquels on se livre en
permanence. Ceux qui me critiquent, je ne les ai pas vus beaucoup sur
les terrains des Droits de l’Homme depuis quarante ans. On demande :
pourquoi a-t-il changé ? Mais je n’ai pas changé.
Q - Si le Dalaï-Lama venait en France et voulait rencontrer Sarkozy,
que conseilleriez-vous au président ?
- R - Je lui conseillerais de le rencontrer. Pour les gens, c’est un
chef religieux, c’est le guide du peuple tibétain. Selon moi, il faudrait donc le rencontrer... mais ce n’est pas moi qui décide.
Q - Même si ça nous fâche avec la Chine ?
- R - Oui, il faut peser les enjeux. C’est ça la "realpolitik", c’est
ça qui est difficile, la différence entre signer une pétition ou être
responsable de la politique étrangère sous les ordres du président de
la République. Cela étant les Allemands ont reçu le Dalaï Lama et
font du commerce avec le Chine.
Q - Vous avez des états d’âme au gouvernement ?
- R - Bien sûr mais, pour le moment, la barque de l’amour ne s’est pas heurtée à la vie quotidienne.
Q - Vous vous attendiez à cela ?
- R - Oui, et même à pire. Jamais le président, à deux exceptions près, ne m’a dit non. Quand je lui ai proposé quelque chose, il ne m’a
jamais interdit de le faire. Je ne suis pas obligé d’être toujours d’accord, le président existe, avec sa politique, avec ce qu’il a promis dans sa campagne et qu’il essaie de tenir, sur les infirmières et sur Ingrid Betancourt. On a fait l’Union pour la Méditerranée, on a fait la Conférence de Paris sur la Palestine qui a permis de mobiliser 7,7 milliards d’euros, on a agi pour le Darfour avec l’Eufor au Tchad, on prépare la conférence sur l’Afghanistan... Dire qu’il n’y a pas de politique extérieure de la France, c’est gonflé. Lisez les journaux étrangers : ils n’arrêtent pas de dire que la France bouge à nouveau ! C’est ce qu’a dit Obama, il trouve que Sarkozy est un type formidable
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