Presse invitée à Lhassa : visite guidée !
lundi 23 juin 2008 par Monique Dorizon
Geoffrey York, journaliste canadien au "Globe and Mail" raconte sa visite de Lhassa, organisée pour les médias, le week-end des 20/22 juin 2008.
Edifiant...
"L’homme de forte corpulence, au mégaphone, nous dirigeant implacablement vers les autobus, représente la pire facette de notre visite accompagnée du Tibet.
La visite officielle pour la presse est un des rituels de la Chine communiste, aussi consacrée par l’usage que, chaque matin, la cérémonie de la montée des couleurs chinoises sur la place Tienanmen.
C’est loin d’être le meilleur système pour recueillir des informations.
Mais, le Tibet étant toujours étroitement isolé du monde extérieur, j’ai accepté une invitation à participer, ce week-end, à une visite de Lhassa pour la presse, sponsorisée par le gouvernement, me rendant compte que c’était la seule manière d’avoir un aperçu, même limité, de cette région verrouillée..
Pour la seconde fois seulement depuis la vague de protestations parfois sanglantes qui ont débuté le 10 mars, des journalistes étrangers étaient autorisés à entrer au Tibet, aussi étais-je prêt pour un regard de "première main" dans le territoire interdit.
Mais une visite officielle pour la presse peut être une expérience humiliante. Notre itinéraire a été empli d’éléments manquant singulièrement d’intérêt : une exposition de travaux manuels, la visite d’un village de touristes et une conférence de presse annonçant un spectacle de danse traditionnelle. L’homme au mégaphone nous aboyait constamment dessus, nous rudoyant pour avancer plus vite. Le programme a été empli d’activités de 7h30 à 22h30 afin de nous occuper et de nous distraire des véritables informations.
Chaque instant avait été préprogrammé. Pour s’assurer que nous ne manquions rien, on nous a réveillé de manière non prévue à 6h et quart du matin, nous poussant hors du lit et dans le programme.
Nous étions logés dans un hôtel du gouvernement, éloigné du centre historique de Lhassa, afin de nous rendre encore plus difficile un contact indépendant avec des moines ou autres mécontents.
A l’heure prescrite du dîner du vendredi, je suis parvenu à me glisser hors de l’hôtel et héler un taxi pour aller à la vieille ville, où j’ai pu voir la présence massive des forces de sécurité, y compris des milliers de membres de la police paramilitaire en uniformes de camouflage, avant le passage de la flamme olympique le lendemain. Il y avait des troupes paramilitaires et la police régulière dans tous les coins.
Quelques journalistes ont également fui l’hôtel. Le lendemain nous avons été réprimandés par une accompagnatrice gouvernementale, qui a prétendu s’être inquiétée de notre sécurité personnelle. "C’est Lhassa" a-t-elle averti, sinistre. "Vous pourriez vous perdre, vous pourriez être détenu. Ca peut arriver n’importe où, en particulier à Lhassa. Quand vous êtes dehors, nous sommes vraiment inquiets. Tout peut arriver".
Quand j’ai protesté en disant que Lhassa paraissait parfaitement sûre – surtout avec la police postée à chaque coin de rue – l’accompagnatrice a fait une vague référence aux rapports des "renseignements" sur de possibles attaques.
Les accompagnateurs étaient une source constante de désinformation. Questionnés sur la fermeture le samedi de toutes les boutiques proches du circuit emprunté par la flamme olympique, un accompagnateur nous assura que les magasins sont toujours fermés le samedi.
La vérité est, naturellement, que les autorités chinoises ne veulent pas que les médias étrangers parlent aux Tibétains, malheureux sous la loi chinoise. Les moines, qui ont mené les protestations au mois de mars, ont été maintenus hors de vue pendant cette visite de la presse.
Un journaliste a croisé un moine dans un coin du monastère de Sera. Il n’a rien dit mais a fondu en larmes silencieusement.
J’ai parlé à quelques commerçants tibétains près du temple du Jokhang (…) Ils étaient trop prudents pour en dire trop mais ils ont dit clairement qu’ils souffraient beaucoup de la décision chinoise d’interdire l’entrée du Tibet aux touristes.
Après avoir fait un dossier de mon premier récit vendredi 20 juin, j’ai jeté un œil rapide au site Internet du "Globe". La censure chinoise avait bloqué mon histoire. Les tout premiers paragraphes étaient visibles sur mon écran, puis cela s’est arrêté au milieu d’une phrase et le site web a disparu. Ce fut d’une étrange ironie : j’étais invité mais censuré (…)
Remarque sur la visite de la presse : les médias de l’Etat chinois ont annoncé que 29 organismes de médias étrangers ont été invités à Lhassa pour le passage de la flamme. Ce qu’ils n’ont pas dit était la composition particulière du contingent de presse.
Pas un seul journal des Etats-unis ou de Grande-Bretagne n’a été invité. On a fortement augmenté le nombre de membres des équipes techniques de télévision. La Géographie a semble-t-il été le critère principal, avec un organisme invité pour chaque pays d’importance. Les Etats-unis ont été représentés uniquement par une équipe de NBC alors que le New York Times et le Washington Post étaient exclus. La Grande-Bretagne a été représentée par l’équipe de la BBC, alors que personne du Times, du Telegraph ou du Guardian n’a été autorisé. Presque la moitié des journalistes invités provenaient de Hong-Kong, Taiwan ou Macao.
Source : Globe and Mail 22 juin 2008
Voir également l’article de Reporters sans frontières : Passage de la flamme olympique au Xinjiang et au Tibet : la presse étrangère sous contrôle
Extrait :
Le gouvernement (chinois) a utilisé le passage de la flamme dans ces deux régions sensibles (Xinjiang et Tibet) pour déclencher une nouvelle campagne de propagande, alors que Pékin et le CIO affirment en chœur qu’il ne faut pas politiser les JO.
"Jamais on n’avait assisté à une telle mise en scène où la population, considérée comme une menace, est invitée à rester chez elle. Jamais les médias étrangers n’avaient été autant entravés pour couvrir le passage de la flamme olympique. Malgré ces dérives, le CIO reste silencieux alors que l’on vient d’assister à une nouvelle violation de sa Charte, avec des officiels chinois utilisant le passage de la flamme pour justifier des mesures répressives".
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Une fois sur place, les journalistes étrangers n’ont pas été autorisés à se rendre dans le temple du Jokhang, au cœur de la vieille ville de Lhassa, mais ils ont été conduits au Potala et au monastère de Sera.
"La présence de très nombreux policiers en tenue ou en civil, qui filmaient nos faits et gestes, tranchait avec l’absence cruelle de moines à qui on aurait pu poser des questions", a expliqué à Reporters sans frontières un journaliste étranger présent à Lhassa.
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