Lettre du Pays des Neiges à l’Assemblée extraordinaire réunie à Dharamsala en septembre 2012
vendredi 21 décembre 2012 par Rédaction , Monique Dorizon
Le Tibetan Centre for Human Rights and Democracy a traduit en anglais une lettre écrite par un moine tibétain, professeur et activiste au Tibet.
Écrite en août 2012, la lettre, envoyée anonymement depuis le Tibet, était adressée à l’Assemblée extraordinaire qui s’est tenue en septembre, en Inde, à Dharamsala [1].
"Réflexions et suggestions pour l’Assemblée extraordinaire qui se déroulera à Dharamsala, en Inde"
Tout d’abord, je tiens à adresser mes salutations aux dirigeants tibétains en exil, surtout à Sa Sainteté le Dalaï Lama et aux chefs du bouddhisme tibétain, ainsi qu’à Sikyong Lobsang Sangay, chef politique du peuple tibétain et aux érudits tibétains. Puissent-ils tous connaître une longue vie, en bonne santé, et puisse leur travail pour (notre pays) porter de plus gros fruits. Je prie aussi pour la réalisation de la volonté des Tibétains de l’intérieur. Puisse le peuple tibétain à l’intérieur et à l’extérieur du Tibet bientôt se réunir, et puisse Sa Sainteté le Dalaï Lama être de retour au Tibet pour être intronisé au Palais du Potala !
Il est évident que le peuple tibétain du Tibet n’a pas d’autre choix que de se conformer aux machinations du parti communiste chinois rouge. Par conséquent, vous Tibétains en exil, à travers l’unité et la solidarité, devez propager, en des termes clairs et concis, la souffrance du peuple tibétain dans les pays du monde aimant la liberté et la démocratie. Ceci est important.
Beaucoup de Tibétains du Tibet, pour le bien de notre nation et de notre peuple, en d’autres termes, pour le bien de notre religion, culture et politique, sont en train de s’immoler par le feu. Ils se brûlent vivants, parce que notre peuple, qui a été complètement privé de liberté et maintenu à la merci d’une puissance étrangère, est à la recherche d’un certain bonheur. Plus de cinquante braves patriotes tibétains qui, ayant sacrifié leur corps, ont dû endurer les degrés de la souffrance, ayant été privés de toutes les options, et en désespoir de cause, ont dû recourir à la mesure extrême [2]. C’est très clair.
Il y a quelques Tibétains qui sont vraiment opposés aux actes d’auto-immolation et par conséquent expriment quelques mots de léger désaccord. Toutefois, ceux d’entre nous au Tibet, qui aiment notre nation et notre peuple, ne se sont jamais opposés, et n’ont pas exprimé des paroles de désaccord au sujet des immolations ; nous restons solidement déterminés et fermes dans cette position.
L’Administration Centrale Tibétaine, toutes les organisations bénévoles et les personnes qui travaillent pour le bien-être du Tibet et le peuple tibétain doivent être clairement conscients que dans certaines régions reculées du Tibet, les Chinois, en recourant à divers moyens de ruse, changent de force l’identité du peuple tibétain par des actes de sinisation, les réduisant à l’état de "Ni-Tibétain-ni-Chinois".
Comme vous le savez tous, on ne nous donne pas un iota de possibilité d’intervention dans ces questions ; seuls les journalistes de l’étranger seront en mesure de visiter directement et de témoigner sur ces questions, aussi mon espoir est que l’Administration Centrale Tibétaine et les Tibétains s’intéressent à ces questions.
Toutes les prairies des nomades et les terres agricoles dans les vallées ont été entourées de clôtures, causant d’énormes conflits au sein du peuple tibétain.
Par exemple, ces clôtures sont devenues une source de nouveaux conflits, même entre père et fils. En ce qui concerne ces problèmes, je dois partager quelques histoires tragiques ici. Toutes ces stratégies chinoises, comme je l’ai mentionné plus haut, sont destinées spécifiquement à semer la discorde et le conflit dans le peuple tibétain.
Cette année, un nouveau programme a débuté dans les zones nomades : vendre des terres nomades appartenant à des nomades au prix de 2 000 yuans (241 € environ). Nous devons sérieusement réfléchir à cette question sous tous les angles, parce que de nombreux Tibétains voient dans ce programme un complot du gouvernement chinois pour prendre toutes nos terres. Je ne pense pas que nos préoccupations soient exprimées sans aucune véritable raison. En ce qui me concerne, je considère cela comme une stratégie politique subtile de la part des Chinois pour attirer le peuple tibétain dans leurs pièges. C’est parce que, non seulement la terre dans les vallées nomades, mais aussi chaque famille nomade reçoit d’énormes sommes d’argent chinois pour construire de nouveaux logements en béton.
En outre, des routes inutiles sont en cours de construction, de sorte que chaque monastère et village soient directement accessibles. Celles-ci sont à l’origine des dommages, pour lesquels nous aurons à supporter un coût énorme à l’avenir.
Les Chinois vous piègent d’abord par ruse, puis avec de l’argent, et enfin avec violence. Par conséquent, le chemin que les Chinois ont disposé pour que nous marchions en attendant, est comme un "poignard invisible" contre lequel nous sommes supposés ne pas avoir beaucoup de stratégies alternatives. C’est parce que, même si nous refusons l’argent chinois, d’autres prétextes sont inventés pour faire en sorte que nous soyons arrêtés. Ces souffrances et privations sont la norme plutôt que l’exception à l’heure actuelle.
Les Chinois exploitent aussi des ressources naturelles en creusant des mines ; des cadres du gouvernement sont expédiés dans différentes villes et villages tibétains pour opprimer et saisir nos terres. C’est devenu monnaie courante.
Un autre problème grave est le sort des monastères, écoles et autres institutions tibétaines - centres d’étude tibétains. Dans les monastères, les fonctionnaires chargés de leur gestion sont corrompus, de sorte que leur complicité est assurée pour imposer des restrictions sévères sur les activités religieuses. Les griefs des moines contre l’attitude négative du gouvernement chinois envers les monastères sont réels et justifiables. Ils ne sont pas de simples excuses pour les critiquer.
Les mêmes problèmes graves ont également assailli nos écoles. Sous la contrainte chinoise, la plupart des enseignants ont abandonné l’enseignement du tibétain. En outre, il y a aussi des cas où les élèves fréquentant les écoles dans les zones autonomes tibétaines ne sont pas autorisés à parler dans leur langue maternelle. La langue d’enseignement dans les écoles du Tibet est la langue chinoise, et pour passer dans une classe supérieure, les élèves sont presque entièrement dépendants de leur performance en chinois. Par exemple, un étudiant obtenant cinq pour cent en tibétain, soixante pour cent en chinois, et trente pour cent en mathématiques est admissible pour monter de classe. Dans certaines écoles, même si l’étudiant n’obtient même pas une seule étoile (forme de classement dans les écoles tibétaines), il ou elle ne rencontrera aucun obstacle sérieux dans ses études dans la classe supérieure. Je suis moi-même enseignant, aussi je peux témoigner de ces problèmes d’après mon expérience personnelle, ayant volontairement servi en tant que professeur de tibétain pendant un mois dans une école de la "Préfecture Autonome Tibétaine de Yushu" [3]
Les étudiants de cette école auxquels j’ai enseigné, 120 en tout, sont dans le sixième échelon. Parmi eux, nous avions eu sept élèves qui étaient totalement ignorants de la langue tibétaine - ils ne pouvaient même pas écrire leur nom en tibétain ! Bien qu’ils soient censés être dans la sixième classe, leur niveau de tibétain est celui de la première année. Quand je me suis renseigné auprès des enseignants pour savoir pourquoi ils maîtrisaient si mal le tibétain, ils ont confirmé ce que j’ai dit auparavant, que l’élève doit simplement avoir cinq pour cent en tibétain, comparativement à 60 en chinois et 30 en mathématiques, pour passer dans la classe supérieure . Lorsque j’ai demandé aux enseignants comment était-il possible que certains étudiants qui ne pouvaient même pas obtenir cinq pour cent en tibétain soient en sixième année, ils ont répondu "certains étudiants se voient accorder une attention particulière pour monter dans les classes suivantes".
Ce qui est clair à partir de tous ces exemples, est que la langue tibétaine ne jouit d’aucune autonomie, même dans les écoles tibétaines installées dans les zones autonomes tibétaines. De telles conditions pathétiques ont rendu notre vie insupportable, il est donc extrêmement important pour l’Administration Centrale Tibétaine et tout le peuple tibétain d’être conscient de ces problèmes.
Tous ces éléments sont des indications claires que les Tibétains n’ont pas de liberté, que ce soit pour suivre leurs propres religion ou leur culture. Par conséquent, nous devons lutter pour la liberté et devrons être en mesure de connaître les joies de la liberté, ce qui ne sera possible que si nous luttons et résistons.
Puisque la recherche de la liberté est un acte de lutte, de simples campagnes de publicité et du bout des lèvres hors du Tibet ne vont pas aider. Ce que nous devons exiger, par-dessus tout, c’est le courage et la fierté de "penser, de parler et de réussir". Sur cette base, nous devons être déterminés à poursuivre toutes sortes de campagnes. Comme toujours préconisé par les érudits tibétains du Tibet, la poursuite de l’étude du tibétain, y compris le bouddhisme tibétain, la culture, l’histoire, la littérature, les coutumes et les traditions folkloriques, ne sont pas seulement des actes qui font progresser la liberté, mais contribuent également à retrouver la "bla srog" (vie-âme) du Tibet.
Des documents d’histoire qui se contentent de préserver sa religion, sa culture et la religion ne garantissent pas la liberté. La liberté n’est assurée que par un acte de lutte non-violente et la résistance, il nous faut non seulement garder en perspective la souffrance à long terme du peuple tibétain, mais aussi considérer les crises immédiates qui nous affligent comme notre préoccupation la plus forte. Respecter volontairement nos obligations est la responsabilité mise sur nos épaules par ce siècle. Les Tibétains dans et en dehors du Tibet, s’ils font leur devoir avec fierté et lancent des campagnes à travers le monde, j’ai la ferme conviction que le temps viendra où la justice sera rendue au peuple tibétain. Actuellement, ce qui nous est indispensable, c’est l’unité et la solidarité.
Les Tibétains en exil doivent avoir le courage de mettre toute leur force vers un seul but, c’est notre espérance. La vie de notre nation et sa liberté sont directement, étroitement liées et dépendantes de vous tous.
C’est parce que, même si nous avons des réflexions sur l’unité et la solidarité, puisque nous n’avons pas du tout de liberté, nous n’avons pas d’endroit où nous puissions parler de la tragédie et du destin de notre peuple. Même si nous nous adressons aux Chinois, il y en a peu qui sont prêts à réfléchir sur ce que nous disons. Cela est compréhensible, car tout d’abord, il y a la crainte de l’arrestation chinoise. Deuxièmement, étant Tibétain, il n’est pas facile d’exprimer notre avis. En outre, cela peut être dû à la peur de ces multiples chiens tibétains, tous ces espions, qui sont dupés par la richesse chinoise.
Troisièmement, nombreux sont ceux qui considèrent que leur sécurité est plus importante que le bien-être de leur peuple. Des Tibétains qui nourrissent le sentiment de la tibétain-ité dans leur chair et leurs os, cependant, sans aucune crainte pour leur vie, participent activement à la lutte.
Pour l’exercice de notre liberté, depuis 1958, plus d’un million de Tibétains ont donné leur vie par résistance contre les communistes chinois. Pour ce combat, dépourvus de tout sentiment de solidarité, de nombreux Tibétains se comportent comme s’ils étaient des histoires mythiques ou légendaires. Par conséquent, après avoir mené beaucoup de recherches et d’investigation sur la réalité du Tibet, j’ai imaginé un livre intitulé "Annales Noires", dans lequel la tragédie et la souffrance du Tibet sont particulièrement documentées.
Peu importe à quel point les communistes chinois nous oppriment, nous ne devons pas céder à la menace de la peur et poursuivre un chemin étroit et pathétique qui nous donne simplement la sécurité personnelle. Ce que nous avons projeté, avant tout, c’est d’arracher le contrôle de l’appareil oppressif chinois, d’avoir le droit de suivre notre propre religion, culture, tradition et langue. Nous nous sommes également engagés à défendre notre devoir d’exposer la nature toxique du sombre système politique chinois communiste.
Bien que nous soyons absolument déterminés à faire campagne activement pour défendre notre terre contre les empiètements chinois, néanmoins, comme le disent les Tibétains, "ni le cheval ne veut venir, ni la pluie tombe au moment où vous le désirez", il y a donc certaines limites.
Pourtant, pour être la source d’inspiration et de fierté pour les générations à venir, nous avons bon espoir de donner notre vie pour le bien-être de notre nation et notre peuple. Compte tenu de cela, nous avons fondé une organisation indépendante appelée "Lutte pour la Vérité à travers la véritable signification de la Voie Médiane", qui devrait viser à la préservation et à la promotion de la religion, la culture, la langue, les coutumes populaires, traditions et autres modes de vie, et à travers eux, nous nous battons pour mettre en œuvre les valeurs de liberté, d’égalité, des Droits de l’Homme etc.
En ouvrant les cent portes de diverses campagnes, nous nous préparons à continuer à participer à diverses formes de lutte, de sorte que nous puissions arriver à un moment crucial.
L’objectif de notre organisation serait l’appareil politique chinois, et nous ferions des enquêtes sur tout Tibétain innocent arrêté en vertu de ce système, et nous nous efforcerions de défendre leur cas difficile dans le monde. Ce serait notre objectif principal.
Deuxièmement, au Tibet, les Chinois, attirés par des pots de vin, mettent en prison de nombreux Tibétains patriotes. C’est une perte énorme pour notre nation, nous devons donc faire tout notre possible pour trouver une autre stratégie qui nous aidera à garder une trace des espions chinois.
Notre troisième objectif est de sortir les nomades tibétains et les agriculteurs de leur engourdissement par analphabétisme, de leur apprendre l’histoire de notre pays, de sorte qu’une véritable conscience nationale soit implantée dans leurs âmes. En dehors de cela, différentes campagnes sont lancées pour éradiquer l’analphabétisme chez les enfants tibétains qui ont été privés de la possibilité d’avoir une éducation de base.
Tout cela reflète l’attitude des moines tibétains ordinaires qui croient honnêtement qu’il n’y a pas d’autre but plus grand dans la vie que d’être à l’office, peu importe la taille, pour le peuple tibétain.
J’espère que Sa Sainteté le Dalaï Lama, les érudits tibétains, les penseurs et les éclairés élargiront leurs réflexions à ces fins.
Avec profond respect,
Lobsang Monlam (Par sécurité, le nom de l’auteur a été modifié).
Du Tibet, le Pays des Neiges
26 août 2012
Source : TCHRD, 13 décembre 2012.
Vous avez apprécié cet article ? Faites-le suivre à vos amis intéressés par ce sujet !
Abonnez-vous à la Lettre d’informations de Tibet-info, ou retrouvez Tibet-info sur Facebook , Twitter ou par fil RSS.
[1] Voir l’article "2ème Assemblée générale de la communauté tibétaine en exil, 25-28 septembre 2012", du 26/09/2012.
[2] Voir l’article et la carte récapitulative des immolations.
[3] Yushu : Kyegudo, ou Kyegu en tibétain de Lhassa, est appelé localement Jyekundo ou Jyegu (ཡུལ་ཤུལ་བོད་རིགས་རང་སྐྱོང་ཁུལ་), et est situé dans la partie nord-ouest du Kham tibétain, aujourd’hui province chinoise du Qinghai. Sur les cartes, cette ville est généralement connue sous le nom chinois de son Comté : Yushu (结古镇). Yushu est visible sur cette carte
<:accueil_site:>
| <:info_contact:>
| <:plan_site:>
| [(|?{'',' '})
| <:icone_statistiques_visites:>
<:site_realise_avec_spip:> 2.1.13 + AHUNTSIC