Les effets de la colonisation

dimanche 4 juillet 1999 par Webmestre

Shigatse, Tibet, 4 juillet 1999.

L’entrée voûtée de Hamburg Beer City est ornée d’un écusson teutonique et de deux lions, et le chevalier médiéval européen en armure a fière allure dans le vestibule lambrissé.
C’est sans aucun doute un des investissements chinois les plus bizarres dans cette ville sacrée où réside le Panchen Lama. Mais selon la gérante de la seule micro-brasserie de Shigatse, Nuo Jianrong, une Chinoise, la bière allemande et l’ambiance servent des fins beaucoup moins anodines.
"Nous aidons les Tibétains à évoluer" explique-t-elle, ajoutant en baissant la voix : "la qualité de la population locale est très, très basse".

L’aide et les investissements chinois au Tibet, la région la plus pauvre du pays, sont accompagnés d’une bonne dose de condescendance et de chauvinisme de la part des Chinois Han. Néanmoins, les affaires se développent rapidement. Alors que le gouvernement central investit dans les infrastructures de base comme les routes, les ponts, les centrales électriques et les réseaux téléphoniques, les gouvernements régionaux font preuve de beaucoup plus d’imagination.

Le développement alimente les tensions ethniques

La micro-brasserie est appuyée par une entreprise d’État de la province de Liaoning. Shanghai équipa Shigatse, la ville la plus élevée de l’Himalaya, d’un grand magasin ayant la forme d’un navire transatlantique. La province de Shandong en a rajouté avec un hôtel cinq étoiles de 10 étages. A Lhassa, la capitale, des fonds provenant de l’île de Hainan ont servi à construire une rue de casinos et de bordels.
Autant de largesses qui ne suscitent pas la reconnaissance de tous.

Le gouvernement tibétain en exil, dirigé par le Dalaï Lama, dénonce farouchement ce qu’il qualifie de colonisation économique du Tibet par les dirigeants hans. "Les Tibétains sont devenus des étrangers dans leur propre pays", dit-il.

La réalité est beaucoup plus complexe. On ne peut guère douter que les investissements aient fait globalement augmenter le niveau de vie. Mais le choc des valeurs et des styles de vie, conséquence de l’afflux de Chinois hans qui va de pair avec celui des investissements, alimente les tensions ethniques.

A Shigatse, cette ville de 80 000 habitants dominée par le monastère médiéval de Tashi Lumpo, la silhouette de navire de Shanghai Plaza tranche sur le paysage. La proue est un grand magasin multi-marques et la superstructure à étages abrite un ensemble de clubs de karaoké, de boîtes de nuits, un fast-food et une piste de quilles.

A l’extérieur, une fière statue représente une Tibétaine en robe traditionnelle flottante qui donne le bras à une femme moderne de Shanghai, en minijupe étroite et avec des bottes. Dans une boutique, un vendeur déclare fièrement : "tout ce qu’on vend est importé".

La dernière trouvaille

Peut-être y a-t-il, à Shigatse, des acheteurs pour des exerciseurs d’abdominaux, des souliers à talons hauts, des sacs de cuir et du rouge à lèvres coûteux. Mais cette rutilante plaza est aux antipodes de la vie du Tibétain ordinaire, aussi lointaine que le port de Shanghai, situé à près de 3 000 kilomètres. Elle a été conçue par un architecte de Shanghai et construite par une entreprise de Shanghai. Et il est fort probable que les charpentiers, les maçons, les plombiers et les électriciens provenaient tous des provinces de l’intérieur de la Chine.

Les critiques vont bon train : c’est bien beau le développement, mais quels en sont les artisans ? Qui en profite ?

Depuis que les troupes chinoises sont entrées au Tibet en 1950 pour affirmer la souveraineté communiste, le développement ne va pas sans soulever la question ethnique : comment améliorer la vie d’un peuple économiquement en retard tout en préservant une culture riche et distincte ?

Cette question n’est pas propre au Tibet : "Je suis Américain, et je sais ce que l’on a fait aux Indiens" déclare Arthur Holcombe, ancien cadre supérieur des Nations-unies qui dirige maintenant le fonds de lutte contre la pauvreté au Tibet : "Les Chinois font beaucoup ’mieux’".

Une pensée frustre

Au cours des années ’60 et ’70, sous le régime de Mao, les Chinois ont cherché à détruire systématiquement la religion, la culture et la langue tibétaines. Ces politiques ont maintenant reculé.
Cependant, les politiques chinoises de développement au Tibet font aujourd’hui l’objet d’une surveillance internationale particulièrement stricte, en raison notamment de l’action du Dalaï Lama, qui a fui en 1959 après l’échec d’un soulèvement populaire. La Chine a déployé peu d’efforts pour restaurer son image dans les projets ayant des répercussions sensibles sur le plan culturel.

Récemment, lors d’une fête religieuse à l’extérieur du monastère de Tashi Lumpo, Hamburg Beer City avait placé un baril de bière en plastique sous un parasol de plage. La gérante, Nuo, essayait, en vain, d’attirer les pèlerins de passage avec des tasses de bière foncée.
"Le gouvernement nous accueille bien, mais les gens d’ici ont un niveau culturel très bas" dit-elle pour justifier le manque d’intérêt. "Évidemment, leur façon de penser est beaucoup moins élaborée que la nôtre".

Source : WTNN / ABC News, Andrew Browne
Traduction : CTC/SFT Canada, Etienne O.


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