Commentaire

Le mur de Pékin

mardi 10 mars 2009 par Jean-Paul Ribes

"Il faut édifier une Grande Muraille contre le séparatisme"  [1]
L’Empereur Hu n’y va pas avec le dos de la cuillère. L’image peut sembler hardie, voire contradictoire dans ses termes, mais à y regarder de plus près, elle véhicule un message toujours plus significatif de la xénophobie et du nationalisme grand Han. Une fois encore, ce qui est vu comme une menace ne peut venir que de l’étranger.
Aucun Tibétain de lui-même ne pourrait avoir l’idée de se séparer de la mère patrie si généreuse.
Aucun Chinois ne souhaiterait trouver une réponse raisonnable et pacifique à la juste revendication des Tibétains.
Non, ce sont les sirènes maléfiques de l’Occident qui polluent l’esprit de quelques-uns et les manipulent pour les pousser à la révolte.

Tant que la superstructure chinoise développera de telles idées et une telle propagande, elle sera dans l’incapacité de résoudre les problèmes. Non seulement parce qu’elle ne les pose pas dans leur réalité criante, mais aussi parce qu’elle dresse contre elle un nombre croissant de Chinois et de démocrates qui souhaitent sincèrement l’évolution pacifique de la Chine dans le monde.
L’empereur est rejoint, en contrepoint, par l’un de ses premiers mandarins, M. Wu Bangguo, président nommé de "l’Assemblée nationale populaire", actuellement en session, qui affirme : "jamais la Chine n’adoptera la démocratie à l’occidentale, le multipartisme, la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ou le système de deux assemblées représentatives". [2]
Au contraire, à l’en croire, la Chine restera éternellement sous un régime "de coopération et de consultations politiques sous la direction du Parti communiste chinois".
Un régime qui n’hésite pas lorsqu’il se sent menacé à sortir ses chars et à les faire tirer sur sa propre jeunesse comme il y a 20 ans place Tien Anmen. Un régime encore qui inonde le Tibet de militaires, le doigt sur la gâchette, à la veille du cinquantenaire de l’exil du Dalaï Lama. Bref un régime peu sûr de lui, que les uns prétendaient changé, le temps d’un tour de stade, mais qui retrouve ses vieux tropismes à la moindre alerte.
Parmi ceux-ci, l’un des favoris de tous les régimes autoritaires : sans témoins (venus de l’extérieur), on est plus à l’aise pour réprimer. Fermer les portes et les fenêtres pour battre son chien, se protéger derrière la muraille pour réprimer au Tibet et au Xinjiang. Joignant le geste à la parole, les autorités chinoises ont posé les premières pierres de leur nouvelle muraille : une douzaine de journalistes ont été arrêtés et parfois brutalisés alors qu’ils tentaient de se rendre dans des régions tibétaines, provoquant une protestation officielle du club des correspondants étrangers à Pékin. [3]
Pour être crédible à l’heure de la mondialisation, un pays doit accepter de s’ouvrir. Un historien humoriste disait que la grande muraille avait été construite non pour se protéger des invasions mais pour empêcher les sujets de l’empereur de s’enfuir. Un peu comme le mur de Berlin. Il y a plus de vingt ans, celui ci s’est écroulé dans l’ignominie. Nous avons changé de siècle. Monsieur Hu ne devrait-il pas faire un pas dans la modernité et abandonner les murailles et autres châteaux féodaux aux amateurs d’antiquités ?

[1] Citation : "Nous devons renforcer la solide Grande Muraille pour combattre le séparatisme et sauvegarder l’unité nationale afin d’assurer la stabilité à long terme dans cette région (du Tibet)". Source : Xinhua.

[2] Source des déclarations de Wu Bangguo en français.
Ce texte explique par le détail l’idéologie officielle concernant la notion de démocratie en Chine

[3] Voir "Chine : des journalistes de l’AFP expulsés d’une zone tibétaine".


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