Le bouddhisme tibétain selon le Parti communiste chinois
lundi 15 septembre 2014 par Rédaction , Monique Dorizon
Il n’y a pas longtemps, plusieurs incidents importants se sont produits successivement :
1) En raison d’une explosion mineure à la fin d’octobre 2011 [1], dans le monastère de Karma [2], qui comptait plus de 300 moines, aujourd’hui il n’en reste que 6.
2) À la fin de 2013, le monastère de Drongna, comté de Driru [3], a été fermé, toutes les habitations des moines ont été scellées et de nombreux moines ont été arrêtés ; par la suite, les monastères de Tarmoe et Rabten du comté de Driru ont également été fermés.
3) En décembre 2013, un avis officiel du gouvernement a été promulgué au célèbre monastère de Labrang , comté de Sangchu [4], demandant d’expulser tous les moines n’étant pas originaires de la région, qui étudiaient au monastère, dans un délai de trois mois.
À la fin de 2008, j’ai écrit plusieurs essais : "« Education patriotique » au Tibet", "Une autre révolution culturelle souffle doucement sur les monastères du Tibet", "Derrière le rideau de « l’éducation juridique »", "Les intentions se cachant derrière la transformation des monastères en attractions touristiques", "Le « nettoyage » de Lhassa caché au monde extérieur".
Il est évident que l’encerclement et l’anéantissement des monastères du Tibet progresse continuellement, de plus en plus loin. Tout comme je l’ai écrit à la fin de 2008, "les autorités locales du Parti lancent actuellement le plus cruel et le plus implacable nettoyage des monastères tibétains depuis la Révolution culturelle. Dans les médias chinois, aucune de ces « opérations de la boîte noire » n’est jamais mentionnée.
Une autre révolution culturelle est en train de balayer le Tibet. En 1966, les temples et les statues bouddhistes ont été brisées et des moines et des nonnes expulsés, laissant un triste champ de ruines. Or, cette deuxième révolution culturelle va complètement éradiquer tous les véritables moines et nonnes, ne laissant derrière elle que l’ombre de monastères, moines et nonnes, obligés de perdre leur courage et leur conscience.
Si nous ne l’avons pas déjà oublié, nous devons nous rappeler comment le 10 avril 2008, les trois principaux monastères de Lhassa - Drepung, Sera et Ganden - ont été attaqués par la police militaire dans le milieu de la nuit, les moines - presque exclusivement des étudiants du bouddhisme en provenance des provinces du Gansu, du Qinghai, du Sichuan, ou du Yunnan (officiellement appelées "les quatre provinces tibétaines") - ont été arrêtés à leurs domiciles. Ils ont été envoyés dans la prison militaire de Gormo et rapatriés dans leurs villes natales après les Jeux olympiques de Pékin ; aucun d’entre eux n’a jamais été autorisé à revenir dans son monastère.
Il a toujours été vrai que plus de la moitié des moines des trois monastères principaux de Lhassa n’étaient pas de la région. Il s’agit d’une tradition vieille de 500 ans, existant depuis la création de ces trois monastères importants, et c’est aussi la tradition de 2 000 ans de bouddhisme. Cela, en effet, concerne aussi les monastères du bouddhisme chinois qui ont toujours été occupés par des moines de tous les coins du pays. Aujourd’hui, les monastères chinois sont restés les mêmes, les moines de différents comtés et provinces viennent y étudier, mais les moines des trois monastères principaux de Lhassa ont été expulsés et emprisonnés par la force militaire. Cela n’est presque jamais arrivé dans l’histoire du bouddhisme tibétain, cela a commencé à se produire fréquemment à l’époque contemporaine sous la direction du Parti communiste chinois.
Si nous n’avons pas déjà oublié, nous devons nous souvenir du document officiel tibétain apparu sur le site Web des autorités locales à la fin de 2008 ; c’était une décision prise par le chef de la "Préfecture Autonome de Kardzé" ciblant l’ensemble des 18 Comtés de la préfecture de Kardzé, indiquant que les autorités locales allaient agir à l’encontre de 10-30% des monastères dont les moines et les nonnes avaient participé aux manifestations selon les étapes suivantes : tout événement religieux serait interdit, les déplacements et les agissements des nonnes et des moines seraient strictement contrôlés ; tous les moines et nonnes appartenant à un monastère devaient une fois de plus "s’inscrire officiellement", tous les moines et nonnes qui ne réussiraient pas l’examen "d’éducation patriotique" seraient expulsés, toutes les résidences des moines démolis. Quant à ceux ayant participé aux manifestations, dans les cas mineurs, ils seraient renvoyés dans leur ville d’origine, dans les cas graves, ils seraient emprisonnés.
A partir de 2011, des groupes de travail ont été mis en place à l’intérieur de plus de 1 700 monastères dans la "Région Autonome du Tibet", employant plus de 7 000 personnes. Au total, le nombre officiel de moines et de nonnes enregistrés est de 46 000 ; cela signifie-t-il que chaque fonctionnaire en poste dans un monastère est responsable de 6-7 moines ? Le problème est que, par exemple, dans le monastère de Karma, berceau de l’école Kagyu du bouddhisme tibétain, les fonctionnaires sont actuellement plus nombreux que les moines. Donc, cela signifie-t-il que l’objectif de ce mouvement, lancé par Chen Quanguo [5] et qui connait déjà actuellement le troisième changement d’équipe, est de diminuer peu à peu le nombre de moines et éventuellement fermer tous les monastères ?
Pendant ce temps, de la même manière, les autorités des "quatre provinces tibétaines" sont en train d’encercler et de s’en prendre aux 150 000 moines et plus ainsi qu’à leurs monastères. Il est impossible que tous ces cadres locaux soient tout simplement en train d’imiter ce que font les responsables de la "Région Autonome du Tibet" ; non, ce sont clairement les politiques de la ligne dure venant du plus haut niveau. En fait, c’est la poursuite et la réalisation des "politiques du Tibet" de Mao Zedong.
Mao a dit : "Nous devons aussi réformer tous les monastères. Après le succès de la réforme, il y aura un moment où le nombre de lamas sera considérablement réduit... Comment devrions-nous réformer les monastères, vous devriez penser à une solution" [6]. Cette soi-disant solution semble être le modèle de ce que nous pouvons observer dans les monastères actuels de Karma et Drongna et aussi dans les trois monastères principaux de Lhassa, il s’agit d’un modèle de bouddhisme tibétain conçu par le Parti communiste chinois.
Lhassa, 23 Janvier 2014
Source : High Peaks Pure Earth, 18 août 2014. Texte de Tsering Woeser.
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[1] Voir l’article "Une bombe explose dans la région de Chamdo", du 28/10/2011.
[2] Le monastère de Karma, ou Karma Gompa, est situé dans le Comté de Chamdo, dans la région tibétaine du Kham, actuelle "Région Autonome du Tibet".
Karma Gompa peut être localisé sur cette carte.
[3] Driru, འབྲི་རུ་ en tibétain, ou Biru, 比如县 en chinois, est à une centaine de kms à l’est de Nagchu (en chinois Nagqu, 那曲地区). Driru, dont le nom signifie "femelle du yack", est un district dans une région accidentée au nord de la "Région Autonome du Tibet" (4 500 m d’alt. environ), près de la rivière Salouen (Nu Jiang, 怒江, en chinois).
Localiser Driru sur cette carte.
[4] Le Comté de Sangchu (བསང་ཆུ་ en tibétain), aujourd’hui nommé Xiahe Xian ou 拉卜楞寺 en chinois, abrite le monastère de Labrang Tashikhyel, l’un des plus célèbres monastères tibétains. Xiahe dépend de la "Préfecture Autonome Tibétaine de Gannan" (Kanlho ou གཙོས་ en tibétain) dans la région tibétaine de l’Amdo, province actuelle chinoise du Gansu.
Labrang (Xiahe) peut être localisé sur cette carte.
[5] Chen Quanguo a été Secrétaire général du P.C.C. au Tibet du 25/08/2011 au 28/05/2012, remplacé ensuite par Qi Zhala.
[6] Discours du 7 mai 1959, Lignes directrices après avoir annihilé la révolte du Tibet. Voir l’article "Chronologie historique détaillée du Tibet"
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