La langue tibétaine est en danger de disparition au Tibet
lundi 14 février 2011 par Rédaction
La langue tibétaine parlée, le Bhökä, et la langue écrite basée sur le sanscrit du 7ème siècle n’ont aucune ressemblance avec le chinois. Ce n’est pas seulement l’une des langues les plus remarquables du monde, c’est aussi selon de nombreux chercheurs contemporains, la seule langue qui ait préservé la totalité des enseignements du Bouddha et des écrits d’autres grands maîtres bouddhistes tibétains.
Pendant des milliers d’années, la langue tibétaine a été utilisée dans les trois provinces historiques du Tibet, dans tous les domaines – culturel, politique, administratif, religieux, artistique, éducatif, ainsi que dans les domaines des échanges et de la communication, dans l’économie et le commerce.
Après l’invasion du Tibet, le gouvernement chinois a mis en place diverses politiques visant à affaiblir et à faire disparaitre la langue et la culture tibétaine.
La place du tibétain au Tibet après l’invasion chinoise
Entre 1955 et 1979, une politique déclarée a été instaurée afin de faire disparaître la langue, la culture et la religion tibétaines.
L’obligation d’utiliser le chinois comme langue tibétaine a mené à un déclin irréversible.
Le dixième Panchen Lama [1], aujourd’hui décédé, avait remarqué : "Ce pays, qui a su se gouverner pendant plus de 1300 ans avec sa propre langue a perdu sa tradition écrite deux décennies après sa ‘libération’ sous la direction du parti communiste. Nous avons dû insister pour que soit passée une loi destinée à promouvoir l’usage de la langue tibétaine au Tibet. Que l’on doive en passer par là est un scandale".
Longtemps après la fin de la révolution culturelle, et même après le commencement des réformes et de la politique d’ouverture culturelle envers les ethnies minoritaires, aucune mesure sérieuse n’a été prise par Beijing pour que la langue tibétaine soit employée ni dans le gouvernement central ni même au niveau des régions. En réalité, le discours des Chinois n’a jamais été suivi de décisions ou d’actions allant dans le même sens.
Phuntsok Tashi Sertang, ancien officier de la Commission des Affaires des Ethnies Minoritaires, qui avait travaillé comme officier protocolaire et traducteur pendant les négociations sino-tibétaines de 1951 (il fut plus tard chercheur invité au centre chinois de recherche en Tibétologie) a écrit dans un article paru en 1989 :
"Depuis que le chinois est devenu la langue dominante au Tibet, il n’existe pratiquement plus de documents en langue tibétaine. Les documents mis en circulation sont censés être des directives rédigées par des cadres supérieurs à l’intention de leurs subalternes, lesquels ne peuvent les lire puisqu’ils sont presque toujours rédigés en chinois. De ce fait, les directives ne peuvent être mises en pratique et ces documents encombrent les fonctionnaires qui vivent dans la peur d’une punition s’il leur arrivait de les égarer". Il ajouta : "Certains dirigeants n’ont pas accepté ou ont même rejeté des réclamations présentées par la population locale et écrites en tibétain sous prétexte qu’ils ne pouvaient les lire". [2]
Pourquoi la langue tibétaine en est-elle réduite à un tel déclin ?
Ce même chercheur a cité comme responsable la politique "d’assimilation" poursuivie par le gouvernement chinois depuis 1958, après l’invasion chinoise du Tibet. "L’assimilation" selon lui est la politique par laquelle les ethnies minoritaires se noient dans l’océan des ethnies majoritaires hans. Il ajoute : "A cause de ce vent néfaste appelé assimilation, la langue tibétaine n’est pas traitée avec respect, ni même utilisée. Et la vive douleur que cause ce vent est toujours ressentie dans le pays".
Dans son livre Bolag Gyi Re-sman [3], Tsering Dhondup Dherong, autre intellectuel tibétain membre du parti communiste, cite trois causes majeures responsables de ce déclin.
La première est la politique nationaliste menée par le gouvernement chinois, qui accélère le processus de sinisation,
La seconde est la notion que le tibétain est une langue sans valeur dans la société actuelle,
La troisième est le complexe d’infériorité dont souffrent les Tibétains, qui les empêche de protéger et valoriser leur propre langue.
Adoption de certaines dispositions concernant l’étude, l’utilisation et le développement de la langue tibétaine parlée et écrite
A la suite d’efforts de nombreux Tibétains menés par le défunt dixième Panchen Lama et par Ngawang Jigme Ngabo pour faire appliquer les droits légitimes du peuple tibétain, la 5ème session du 4ème Congrès populaire des régions autonomes du Tibet a adopté, en 1987, les "dispositions concernant l’étude, l’usage et le développement de la langue tibétaine parlée et écrite" (dispositions qui devaient être appliquées sur une base expérimentale).
En 1988, ce fut au tour du gouvernement populaire de la Région autonome du Tibet, RAT, de promulguer des "règles détaillées pour l’application des dispositions" citées ci-dessus.
Lors de la première session du 5ème Congrès populaire de la RAT, quelques membres des provinces limitrophes, des membres de congrès populaires ou de conférences politiques consultatives eurent le plaisir de pouvoir exprimer leurs idées en tibétain. Mais un représentant officiel chinois leur coupa la parole : "Veuillez parler chinois, si vous parlez en tibétain, nos camarades chinois ne vous comprendront pas". Ainsi les participants de ce congrès, qui étaient à 80 % des Tibétains, durent-ils parler en chinois lors d’une assemblée qui avait lieu dans la "Région autonome du Tibet" et dont l’ordre du jour était de discuter de l’étude, de l’utilisation et du développement de la langue tibétaine dans cette même région. Cet incident démontre clairement le manque de volonté de la part des dirigeants chinois à mettre en œuvre ce projet de loi.
Après l’annonce des dispositions de 1987, le journal Tibet Daily publia un essai critique intitulé : "Nous devons utiliser en toutes circonstances la langue tibétaine dans tous les aspects de notre vie au Tibet".
Les dirigeants du parti communiste de la RAT, les porte-parole du gouvernement, les entreprises et organisations commerciales n’ont pas appliqué les dispositions ni les nouvelles lois. Voilà ce qu’en dit Sonam, écrivain tibétain :
"Non seulement les responsables ne comprennent pas le sens des lois en vigueur dans la région autonome, mais de plus ils ne savent pas gouverner les régions peuplées d’ethnies minoritaires. Ils ne réalisent pas non plus à qui le peuple fait confiance, ils ne savent pas qui les Tibétains aiment, respectent et admirent. Quoiqu’il en soit, leur ambition ne se borne qu’à devenir des cadres bien rémunérés de haut niveau qui ne parlent que chinois, ne se servant de la langue chinoise que pour leur profit. Et quelle que soit la rigidité de leur façon de penser, ils ne chercheront pas à en changer. En se procurant les écrits détaillés pour l’application des dispositions concernant la langue tibétaine, ils ne font qu’un geste symbolique d’obéissance envers leurs supérieurs en les lisant en public, sans vouloir les mettre en pratique. La preuve en est que dans chaque assemblée, petite ou grande, ils continuent à parler chinois et de ce fait mettent en difficulté plus de 90 % de leurs membres, qui sont en fait des cadres ou des travailleurs tibétains".
Les "règles détaillées"
Le gouvernement chinois a fait du chinois la langue officielle du Tibet, rendant plus difficile l’usage quotidien de la langue tibétaine dans toutes les activités sociales y compris les dépôts et retraits dans les banques.
En 1996, suite aux recommandations du troisième Forum de travail sur le Tibet [4], le budget pour les publications académiques et littéraires du Tibet a été considérablement réduit. Le comité directeur a été dissout et ses membres supérieurs mutés au Bureau régional de la traduction. Des projets pilotes visant à prolonger l’organisation de l’enseignement en tibétain aux écoles secondaires (dans le but d’aider les élèves à faire plus de progrès si l’enseignement n’était pas en chinois) furent également supprimés. Des cours de langue tibétaine à l’université de Lhassa subirent le même sort et les conférenciers reçurent l’ordre de réécrire les manuels afin d’en expurger le contenu religieux.
Les nouvelles législations omettent d’instaurer la langue tibétaine comme langue principale
En 1987, le Panchen Lama et Ngawang Jigme Ngabo, deux éminents Tibétains obtinrent, avec le soutien de cadres de l’éducation spécialisée, que la langue tibétaine soit utilisée dans les écoles, collèges et autres institutions dans la région autonome du Tibet.
Un projet de loi, appelant quelques résolutions concernant l’étude, l’usage et le développement de la langue écrite et orale tibétaine (à mettre en œuvre à titre expérimental) fut adopté en 1987. Il décrétait que le tibétain serait la langue principale du Tibet, avec le chinois en seconde place. Il était également décrété que serait instauré dans la région autonome du Tibet un système d’éducation faisant principalement usage de la langue tibétaine.
Cette importante décision était en parfait accord avec les résolutions prises dans la Constitution et par les lois gouvernant la "Région autonome du Tibet". Cependant la version révisée de ce projet de loi ne fait plus mention de cette décision, une omission qui ne constitue pas seulement un historique pas en arrière mais qui est aussi contraire à la Constitution. [5]
Cette nouvelle loi n’éclaircit pas des articles importants de l’ancienne législation concernant l’étude de la langue tibétaine et qui sont passés sous silence : il en résulte que l’étude de la langue tibétaine se fait de moins en moins et il semble comme sans importance que cette langue vive ou disparaisse.
L’article 6 de la nouvelle loi stipule que l’enseignement pendant les années obligatoires sera fait en chinois et en tibétain et que des cours de langue étrangère seront offerts pendant une période appropriée (plus tard). Ce soi-disant enseignement obligatoire devait aller jusqu’en 6ème, il est maintenant repoussé jusqu’en 9ème. Cependant même si le tibétain est enseigné au niveau de l’éducation secondaire (de la 10ème à la 12ème), tous les cours sont faits en langue chinoise. Ainsi, comme l’indique Mr. Tashi Tsering, beaucoup d’étudiants seront incapables de maîtriser les deux langues et cela aura un effet délétère sur le résultat de leurs études. Cette nouvelle loi qui dévalorise la langue tibétaine la condamne en fait à un déclin irréversible ou même à disparaître de la sphère pédagogique. Ainsi, la culture du peuple tibétain disparaîtra de la sphère de la culture de l’humanité. Elle prive également tous les peuples du monde - y compris les Chinois - de leurs libertés et de leur droit d’étudier, conserver et développer la langue tibétaine. Les intérêts du peuple tibétain tout entier s’en trouvent bafoués.
En outre, cette loi va à l’encontre des dispositions prises dans la Constitution de l’Autorité de la Région autonome, de la loi sur l’éducation obligatoire et de la politique concernant les ethnies minoritaires, et cela non seulement en ce qui concerne uniquement la "Région autonome du Tibet" mais aussi dans d’autres régions tibétaines.
Discrimination contre la langue tibétaine
Les dirigeants chinois ont toujours estimé que pour contrôler complètement le Tibet, la langue et la culture tibétaines (et aussi sa religion) doivent être détruites et remplacées par le chinois. Ils ont mis ce plan en action, il en résulte que la langue tibétaine est progressivement remplacée par le chinois dans tous les domaines d’activité du territoire autonome du Tibet.
Il n’y a pas de textes en langue tibétaine lors des concours pour la fonction publique et les documents gouvernementaux ne sont presque jamais rédigés en tibétain. Les chefs de bureaux s’expriment toujours en chinois pendant les réunions, petites ou grandes. Il en résulte que la langue tibétaine est de plus en plus dévalorisée dans la vie sociale des Tibétains.
Le système de notation qui prévaut dans les collèges et les universités est une autre source de difficultés. Généralement, lorsque l’on passe des examens dans les collèges ou les universités, 50 % des sujets d’examen seulement sont rédigés en langue tibétaine, parfois même il n’y en a aucun en tibétain. Ces agissements constituent un traitement humiliant pour la langue tibétaine. Sa grammaire est traitée avec dérision et les efforts que font l’Etat pour éduquer ses citoyens sont totalement dénigrés. Cependant le Livre blanc chinois assure "qu’un système d’enseignement bilingue a été adopté globalement dans l’éducation au Tibet, la priorité étant donnée à l’enseignement en tibétain" et que cette langue est également enseignée en Chine continentale. Le Livre blanc [6] assure même que le gouvernement chinois est responsable d’un essor de la langue tibétaine sans précédent dans l’histoire du pays.
De nouveaux projets concernant l’usage accru du chinois ont suscité des protestations
Le 19 Octobre 2010 à Rebkong (en chinois Tongren), dans le comté de Malho, province de Qinghai de la Région autonome du Tibet, des milliers d’étudiants tibétains sont sortis dans les rues pour protester contre les réformes de l’éducation et les inégalités subis par les Tibétains [7]. Des élèves de six écoles de la région, y compris le premier Lycée tibétain, le lycée national de Yigu et l’Université pour la formation des enseignants à Malho ont exigé que la langue tibétaine soit plus souvent présente et ont protesté contre les nouvelles mesures d’enseignement en langue chinoise [8].
Un site de réseau social populaire rapporte : "A 12 heures aujourd’hui, plus de 400 étudiants ont protesté à l’Université chinoise Minzu, à Beijing, pour obtenir la liberté de parole", selon "Haut sommets, terre pure" ("High peaks, pure earth") qui a aussi publié des photos de la manifestation. [9]
Cette université a rassemblé le plus grand nombre d’étudiants dans la capitale chinoise, la plupart d’entre eux étudiants en tibétologie.
La sécurité a été renforcée dans les lieux où les étudiants avaient protesté, des sources locales citent la détention de plus de 20 étudiants du lycée de Chabcha (en chinois Gonghe, 共和县), le vendredi 22 octobre 2010.
Des sources tibétaines en exil en contact avec d’autres Tibétains de la région ont confirmé ces rapports.
Ces manifestations au Qinghai et Beijing semblent avoir été provoquées par de nouvelles mesures qui mettent l’accent sur le chinois comme langue principale et repoussent au second plan la langue tibétaine enseignée comme langue étrangère avec moins d’heures consacrées à l’étudier.
Un bulletin de CNN confirme la déclaration faite par un fonctionnaire du Bureau international d’information du Qinghai, Mr. Wang : "La manifestation est le résultat d’une nouvelle politique d’éducation destinée à réduire la durée du temps d’enseignement en langue tibétaine"
Radio Free Asia a également cité une source disant que les autorités provinciales avaient donné l’ordre aux enseignants tibétains de prendre part à des ateliers pour faciliter le passage du tibétain au chinois dans les écoles, soulignant que : "Si ce plan est mis en œuvre, de nombreux professeurs tibétains perdront leur emploi au profit des Chinois".
En 1988, des élèves de l’université du Tibet avaient organisé à Lhassa, capitale du Tibet, une manifestation sans précédent, réclamant que la langue tibétaine soit utilisée au Tibet. Des manifestations similaires avaient eu lieu dans la région de Tso-ngon (en chinois Qinghai).
Dans les enclaves tibétaines des provinces du Gansu et du Sichuan des étudiants ont distribué des tracts demandant aux autorités régionales de faire usage de la langue tibétaine.
Une pétition contre la réforme politique linguistique
Plus de 300 enseignants et étudiants ont signé une pétition demandant que le tibétain reste la langue d’enseignement au Tibet tout en reconnaissant la nécessité d’apprendre le chinois.
Cette pétition fut rédigée après la conférence tenue à Rebkong (Tongren en chinois) du 11 au 16 Octobre, avant les manifestations. Il est noté qu’une différence existe entre l’enseignement d’une langue et une langue d’enseignement. La plupart des chercheurs et des érudits s’accordent pour dire que l’on doit introduire une 2ème langue, dans ce cas le chinois, progressivement, pour qu’une éducation bilingue soit véritablement réussie.
Les professeurs tibétains sont pour une éducation bilingue. Les autorités du Qinghai, de leur côté, disent mettre en place une politique de bilinguisme. En réalité leur but est d’imposer l’éducation en chinois à des étudiants de langue tibétaine. De nouvelles mesures à cet effet – forcer l’éducation bilingue dans les écoles maternelles situées dans les zones rurales, renforcer l’étude de la langue chinoise dans les écoles primaires et résoudre les problèmes de communication entre Chinois et ethnies minoritaires – ont été mises en place en juin dans le cadre d’un plan couvrant la période 2010-2020 au Qinghai.
Les professeurs tibétains ont écrit : "La sagesse d’une personne et sa capacité à analyser sont intimement liées au développement de ses capacités linguistiques". Les signataires de cette lettre veulent ainsi soutenir l’idée "qu’il serait souhaitable, d’un point de vue scientifique, de continuer à utiliser la langue maternelle des étudiants pour les aider dans leur développement intellectuel".
David Germano, professeur de tibétain et d’études bouddhiques à l’université de Virginie, écrit : "Des études ont montré régulièrement que des étudiants qui sont éduqués et passent des tests en chinois obtiennent de moins bon scores que lorsqu’ils étudient et passent des tests en tibétain, y compris des tests de quotient d’intelligence (Q.I.)". Le professeur Germano souligne que "faire du chinois la langue professionnelle et littéraire du Tibet condamne les Tibétains à une position subalterne comme citoyens de seconde classe dans leur propre pays". [10]
L’importance de la langue tibétaine
"Sans la langue tibétaine, il est clair que le Tibet ne sera plus le Tibet".
La langue tibétaine est cruciale pour l’identité tibétaine, sa culture et sa religion, c’est l’une des quatre langues les plus anciennes et les plus originales d’Asie. Lors d’une table ronde qui s’est tenue à Washington, DC, le chercheur Nicolas Tournadre, professeur à l’Université de Provence et expert en langue tibétaine, a déclaré : "Il y a une réelle menace d’extinction ou de grave déclin de la langue et de la culture tibétaine, dans deux ou, tout au plus, trois générations... Au cours des 15 dernières années, j’ai été personnellement témoin de ce déclin. Les langues ne sont pas neutres. Elles véhiculent très spécifiquement des comportements sociaux et culturels et des modes de pensée. Ainsi, l’extinction de la langue tibétaine aura des conséquences énormes pour la culture tibétaine, qui ne peut continuer à exister sans elle… C’est important parce que la langue et la culture tibétaines sont uniques. Oubliez la linguistique, la médecine ou l’architecture et ne considérez que la littérature ; de toutes les littératures de l’Asie, c’est l’une des quatre les plus anciennes, les plus complètes et les plus originales avec le sanscrit et les littératures chinoises et japonaises. C’est donc une très bonne raison de maintenir cette culture pour le patrimoine de l’humanité".
De plus sauvegarder cette langue est de la plus haute importance dans presque tous les domaines.
A l’heure actuelle, le taux de chômage est très élevé au Tibet. Beaucoup de Tibétains en milieu rural, qu’ils soient nomades ou paysans, vivent presque comme des étrangers dans leur pays parce qu’ils n’ont pas les connaissances linguistiques nécessaires pour trouver du travail. Quand ils viennent dans les villes, leur culture est dévaluée et marginalisée, ce qui conduit à la dévalorisation et à la marginalisation du peuple lui-même. Sans la langue tibétaine, le Tibet ne sera plus le Tibet.
En 2002, les autorités chinoises ont annoncé de nouveaux règlements concernant la langue tibétaine. Le quotidien China Daily présente ce décret gouvernemental "comme le premier décret jamais passé en Chine sur la préservation d’une langue ethnique" (22 mars 2002). Bien que cette mesure semble reconnaître la gravité de la menace qui pèse sur la langue tibétaine, aucune mesure concrète n’a été mise en place pour améliorer la situation et la dévalorisation de la langue tibétaine en faveur de la langue chinoise continue.
L’économiste Andrew Fischer, qui a fait un travail de terrain approfondi au Tibet, y compris à Rebkong, suggère un examen de deux aspects essentiels de la politique actuelle afin de réduire la polarité économique et l’instabilité sociale qui règnent dans le pays.
"L’emploi en milieu urbain nécessite une protection et une promotion à la fois des couches inférieures et supérieures. D’autre part on doit veiller à réduire les désavantages linguistiques et culturels des Tibétains qui travaillent en zone urbaine sans porter atteinte à la langue et à la culture tibétaine. Il existe déjà des lois qui permettraient de résoudre ces difficultés, si elles étaient appliquées, comme le recommandait feu le dixième Panchen Lama : il faudrait que les employés du secteur public travaillant dans les régions tibétaines puissent s’exprimer en tibétain et que soit appliqué aussi une véritable politique d’éducation bilingue dans les régions d’ethnies minoritaires".
(Éduquer pour exclure en Chine occidentale... les dimensions structurelles et institutionnelles du conflit dans les régions du Qinghai et au Tibet)
Les envoyés de Sa Sainteté le Dalaï Lama ont remis aux autorités chinoises un mémorandum réclamant une réelle autonomie pour le peuple tibétain, les 4 et 5 novembre 2008 [11], dans le cadre du processus de dialogue sino-tibétain. Ils attirent l’attention des autorités sur l’importance cruciale de la langue tibétaine, citant les dispositions de la Constitution de la République populaire de Chine et de la loi sur l’autonomie régionale qui garantissent aux ethnies minoritaires le droit de parler et d’écrire leur langue : "L’article 10 de la loi sur l’autonomie régionale garantit aux ethnies minoritaires le droit d’utiliser et de développer leur langue parlée et écrite".
Conclusion
Le gouvernement communiste chinois a suivi une politique de destruction systématique de la langue et de la culture tibétaines au cours de ses années de domination sur le Tibet. Pourquoi s’acharne t-il à faire disparaître la langue tibétaine ? La réponse est simple : siniser les ethnies minoritaires pour exercer sur elles un contrôle total et résoudre la culture et la religion tibétaines, qui constituent le fondement psychologique du peuple tibétain, représentant pour les autorités chinoises le plus grand obstacle à leur contrôle total du peuple tibétain et de sa terre. Le chef du Parti de la Région autonome du Tibet, Zhang Qingli, a décrit le chef religieux tibétain comme le principal obstacle à la normalisation du Bouddhisme au Tibet.
Il a aussi désigné le parti communiste chinois comme le ‘Bouddha vivant’ et un ‘parent’ du peuple tibétain. Ces propos démontrent clairement le chauvinisme des Hans et leur totale incompréhension de ce que représente le bouddhisme tibétain, une partie intégrante de l’identité et de la nationalité tibétaines.
Recommandations
Nous voulons exhorter les dirigeants chinois :
1) A veiller à respecter la liberté de parole des étudiants ;
2) A considérer la question de l’éducation des Tibétains dans leur propre langue. Nous insistons sur le fait que le gouvernement chinois leur a déjà accordé la liberté de parler leur langue, ainsi qu’en témoigne la législation de 2002 relative à l’utilisation de la langue tibétaine, en accord avec la loi d’autonomie régionale ;
3) A dialoguer avec les représentants du Dalaï Lama sur les questions de langue et d’éducation tels qu’elles ont été envisagées dans le Mémorandum sur une autonomie réelle. [12]
Préparé par : Tenzin Samphel, Human Rights Officer, Bureau du Tibet, Genève
Date : 14 Novembre 2010
Traduction de l’anglais au français par le Bureau du Tibet, Paris.
Pour aller plus loin dans la démarche de protection de la langue tibétaine : |
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- Vous pouvez signer la pétition adressée au Secrétaire du Parti communiste du Qinghai, et le Conseiller d’état en charge de l’éducation à Pékin, demandant de respecter le droit pour les Tibétains d’apprendre dans leur langue.. |
- Découvrez la vidéo d’une chanson populaire au Tibet et parmi les Tibétains en exil, intitulée "les trente lettres de l’alphabet" (alphabet tibétain !).
Les paroles sont disponibles en tibétain, anglais, français, ou espagnol |
[1] Voir l’article "Qui est le Panchen Lama ?"
[2] Voir l’article "Manifestation de 6 000 collégiens tibétains à Rebkong" du 20/10/2010, concernant l’obligation qui leur est faite de suivre leurs cours en mandarin.
[3] Voir page 8 du document en anglais "China’s attempts to wipe out the language and culture of Tibet".
[4] Le Troisième Forum de travail sur le Tibet eut lieu du 20 au 23 juillet 1994
[5] L’article 4 de la Constitution indique "Chaque ethnie a le droit d’utiliser et développer sa propre langue et sa propre écriture"
[6] Le gouvernement chinois a publié plusieurs Livres blancs sur les politiques à mener avec les minorités ethniques. Le premier fut issu en 1999, le deuxième en 2005 et le troisième le 27 septembre 2009. Un Livre blanc spécifique à la culture tibétaine fut publié le 25 septembre 2008, dont il est question ici.
[7] Voir l’article "Manifestation de 6 000 collégiens tibétains à Rebkong"
[8] Voir l’article de Radio Free Asia du 25/10/2010.
[9] Voir :
l’article de High Peaks, Pure Earth : When Tibetan students fight for Tibetan language
l’article de International Campaign for Tibet.
[10] Voir l’article "A Brief Survey of Issues Relating to Tibetan Language in the 21st Century".
[11] Voir l’article "Huitième rencontre sino-tibétaine à Pékin" du 31/10/2008
[12] Voir les articles :
Mémorandum sur une autonomie réelle pour le peuple tibétain
Note explicative du Mémorandum sur l’autonomie véritable pour le peuple tibétain.
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