La catastrophe minière de Lhassa (29 mars 2013) a-t-elle été causée par une "catastrophe naturelle" ?
samedi 10 août 2013 par Rédaction , Monique Dorizon
Le "China Gold Group" est une société appartenant aux Biens de la Commission de la surveillance et de l’administration du Conseil des Affaires de l’État. Le terme "Gyama" [1] désigné par ce ministère est une "mine polymétallique or et cuivre", qui est le lieu de naissance du grand monarque tibétain Songtsen Gampo [2]. Gyama est situé sur la partie supérieure de la rivière Kyi Chu (la rivière de Lhassa), dans le comté de Medro Gongkar [3].
Il y a six ans, le "China Gold Group" a combiné 6 zones minières privées qui existaient depuis de nombreuses années, et continué à utiliser sa filiale, Huatailong Mining Development Co., Ltd, pour exploiter jour et nuit, extrayant jusqu’à 12 000 tonnes de minerais par jour.
La zone de Gyama renferme de nombreux et différents métaux, dont le cuivre, le molybdène, le plomb, le zinc, l’or et l’argent. Selon les rapports, sa valeur économique dépasse 120 milliards de yuans (14,7 milliards d’euros). En août 2011, le "China Gold Group", qui a changé son nom en "China Gold International Resources Corporation" après être entré sur le marché boursier, a annoncé que les ressources contrôlées dans la zone minière de Gyama, l’une des deux plus grandes régions minières de la société, avaient augmenté de 443 %, et qu’il allait continuer d’avancer vers les objectifs visant à étendre les activités minières, et à construire une société minière de classe mondiale. En septembre de l’année dernière, ils ont lancé "la deuxième phase du projet Gyama", "espérant produire plus de 60 000 tonnes de cuivre, près de 3 000 tonnes de molybdène, plus de 50 tonnes d’argent, et 1 tonne d’or par an, avec une production minière globale atteignant 12,6 millions de tonnes, correspondant à une augmentation du chiffre d’affaires de 4 milliards de yuans (490 millions d’euros environ)".
En fait, la région minière de Gyama a déjà été agrandie du comté de Gyama vers d’autres comtés environnants. Dans ce processus, de nombreux petits monastères situés dans les montagnes ont dû être abandonnés par la force, les moines et les nonnes ont été expulsés, les bergers de nombreux villages ont été réinstallés et des villages ont été transformés en dépôts miniers. En outre, de nombreuses reliques religieuses et de culture traditionnelle existantes dans la région ont été gravement endommagées, y compris la grotte religieuse de Padmasambhava, la route du pèlerinage au monastère sacré de Samye, une ancienne plate-forme de funérailles célestes, des peintures rupestres ainsi que la montagne sacrée, le lac sacré et des sources chaudes.
Par ailleurs, en raison des activités minières, les ressources en eau de la région ont été gravement polluées, causant la mort de milliers de têtes de bétail, et produisant des maladies étranges infectant de nombreux habitants.
Ainsi, à plusieurs reprises, des bergers locaux ont fait appel aux autorités supérieures afin de protester, mais ont été simplement traités comme des "personnes favorisant le séparatisme". En 2009, un conflit est survenu entre les éleveurs et le secteur minier parce que la société avait pris l’eau pendant une période de sécheresse ; quand les forces de la police armée et des escouades anti-émeute étaient entrées dans la région, de nombreux habitants avaient été arrêtés et le chef du village avait été condamné, mais les gens de l’industrie minière qui avaient battu et blessé des habitants n’ont pas été poursuivis.
Personne ne sait vraiment ce qui se passe réellement dans la région. En suivant la route nationale 318, à environ 65 kilomètres à l’est de Lhassa, nous voyons une imposante porte d’entrée d’une cité tibétaine portant ces mots "Berceau de Songtsen Gampo" [4], à sa gauche, un guichet nous dit qu’à l’intérieur, nous trouverons un endroit intéressant. Seuls des touristes peuvent voir les rues pavées de façon égale, les bâtiments nouvellement et magnifiquement décorés de chaque côté de la route - à l’intérieur, cependant, l’endroit intéressant n’occupe qu’une petite place, la majeure partie est occupée par une zone minière inaccessible. On peut aussi voir passer de gros camions, même si les touristes savent que ceux-ci appartiennent aux zones minières, ils pensent probablement encore que les projets miniers lancés par les autorités et l’industrie bénéficient aux populations locales. Ce n’est que le 29 mars de cette année (2013), quand une grave catastrophe minière a eu lieu dans la région [5] que la cruelle réalité a été quelque peu exposée.
Les médias du Parti ont d’abord annoncé qu’il s’agissait d’une "catastrophe naturelle" qui avait amené "la montagne à s’effondrer naturellement". Le glissement de terrain a couvert plus de 3 kilomètres de long, plus de 200 mètres cubes enterrant 83 ouvriers. Les médias ont également déclaré que la catastrophe s’était produite dans la grotte de Purang, sur le mont Zeri, dans le district de Trashigang, appartenant à la région minière de Gyama.
Avec Google Maps et Google Earth, on peut voir que le bassin minier est si grand qu’une page n’est pas suffisante pour afficher toute la zone [6].
La route qui avait été spécialement ouverte pour le bassin minier débute dans le village de Gyama et se poursuit dans les montagnes pour ensuite prendre un virage soudain, le long de l’autre côté de la montagne, pour ensuite revenir à la route nationale 318. Ainsi, la zone d’exploitation minière prend la forme de la lettre U, entourant le village de Gyama et le district de Trashigang voisin [7], séparant la région par une route, coupant à travers les montagnes, pénétrant profondément et créant de grandes parcelles vides, laissant l’image d’un environnement naturel détruit.
Eh bien, quel genre de "catastrophe naturelle" aurait pu être à l’origine d’une "montagne qui s’effondre naturellement" ? Le deuxième jour après la catastrophe minière, les médias officiels ont déclaré que "plusieurs fissures ayant été découvertes dans la zone minière où un glissement de terrain avait eu lieu, des précautions étaient prises actuellement pour éviter une catastrophe secondaire". Ils sont passés de "catastrophe naturelle" à "catastrophe secondaire" : ces changements d’expression sont tout simplement absurdes, ne disent-elles l’une et l’autre la même chose, à savoir que la catastrophe a été causée par la nature et que cela n’a rien à voir avec les gens ?
Quand cela a eu lieu, un internaute, familier de la région minière de Gyama a écrit sur Twitter : "[...] J’ai un ami qui y travaille ; on dit que l’accident est survenu sur le site de la deuxième phase du projet, mais aux informations, ils ont dit qu’il s’agissait du site de la première phase du projet et ils se sont mis d’accord sur l’expression "catastrophe naturelle" ... ". "L’étendue de l’emplacement de la deuxième phase du projet est plusieurs fois plus grande que la première ; cette année ils avaient poursuivi sa construction pour bientôt commencer l’exploitation. Maintenant, ils disent que l’accident sur le second site a effectivement eu lieu sur le premier. Il est possible que ce soit un désastre géologique mais ce n’est pas très probable, mais bien sûr, le gouvernement doit présenter cela de cette façon". Il a en outre déclaré : "Mes amis de Gyama ont tous dit qu’Internet avait été en panne pendant quelques jours". "Toutes les nouvelles ont été censurées et bloquées et il était impossible de transmettre des informations à l’extérieur".
En effet, sur Internet, d’abord, nous pouvions entendre de nombreuses voix qui doutaient fortement que la catastrophe minière soit une conséquence naturelle et non humaine, mais le Bureau central de la propagande n’a pas tardé à émettre un avis très important pour tous les médias : "En ce qui concerne l’accident de glissement de terrain qui s’est produit sur le site de la première phase du projet d’ une zone d’exploitation minière à Lhassa, au Tibet, tous les médias doivent respecter les communiqués de presse officiels de l’Agence Xinhua et des autorités ministérielles ; tous les articles sur la catastrophe doivent provenir de sources fiables, être objectifs et vrais, il faut rapporter sans délai sur le travail de secours aux sinistrés et l’opinion publique doit être guidée correctement. Aucun article sur toutes les questions sensibles, aucun journaliste ne doit être envoyé sur les lieux pour interroger des gens".
Dans cette perspective, ce n’est vraiment pas une surprise de voir que toutes les déclarations, du siège social de la société aux médias officiels, ont été identiques. Qu’essaient-ils de cacher exactement ? Est-ce que la catastrophe minière était trop importante, ou les dommages et les conséquences négatives de l’activité minière trop dévastateurs ? Quoiqu’il en soit, Gyama, ce lieu autrefois si beau et dynamique, le lieu de "l’impulsion du dragon", souffre aujourd’hui de l’éviscération la plus grave et c’est une évidence qui ne peut être cachée.
Source : Publié le 4 avril 2013 sur le blog de Tsering Woeser. Photos sur ce même blog.
Traduction en anglais par High Peaks, Pure Earth
Voir également les articles :
"Fort développement de l’exploitation minière au Tibet", du 15/02/2011 ;
"La Chine va intensifier ses efforts miniers sur le plateau tibétain dans les prochaines années", du 21/08/2011 ;
"L’extraction minière pollue les rivières et fait disparaître des fermes", du 21/01/2013
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[1] Localiser Gyama sur cette carte
[2] Voir l’article "Chronologie historique détaillée du Tibet"
[3] Medro Gongkar ( མལ་གྲོ་གུང་དཀར་ en tibétain, Maizhokunggar ou 墨竹工卡 en chinois), district administratif dépendant de la ville-préfecture de Lhassa, dans la "Région Autonome du Tibet". Localiser Medro Gongkar (Maizhokunggar) sur cette carte
[4] Voir sur la carte ci-dessous l’emplacement du lieu de naissance de Songtsen Gampo. Positionner votre curseur sur le monument juste en bas à droite du mot "Nenakok".
[5] Voir l’article "Les Tibétains tenus à l’écart des revenus de leur sous-sol", du 08/04/2013.
[6] Dixit Woeser, mais tout dépend de la taille de votre écran et du degré de zoom ;-)
[7] Sur la carte ci-dessous, la nationale 318 occupe le bord nord, Gyama est tout à fait à gauche et Trashigang (écrit Zhaxigangxiang sur cette carte Google) est tout près du bord droit, à la même hauteur.
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