ELLE : Jamyang Kyi femme de la semaine & LIBE : 4 tibétologues répondent à une chronique scandaleuse
mercredi 30 avril 2008 par Rédaction
Jamyang Kyi femme de la semaine
La célèbre présentatrice de télé et chanteuse tibétaine disparue depuis le 1er avril fait l’objet d’un article dans le magazine Elle, sous la rubrique "la femme de la semaine".
Rebonds, Libé du 25 avril
Après l’article insultant paru dans Libération en rubrique Rebonds, les spécialistes du Tibet répondent à L. Dispot sur les liens entre le Dalaï Lama et les Nazis :
Le mythe de la connexion entre le Tibet et les Nazis est une création tardive d’auteurs français : le premier, Terry Legrand, publia en effet en 1933 [1] un roman intitulé "Les Sept têtes du dragon vert" dont un passage fut repris et développé par Louis Pauwels et Jacques Bergier dans leur célébrissime "Le Matin des magiciens" (1960). Cela a été démontré très clairement par Isrun Engelhardt (Université de Bonn), reconnue dans le milieu scientifique pour la qualité de ses travaux sur le Tibet et les Nazis.
Dès les années trente, toutefois, Himmler, dont les idées mystiques et ésotériques étaient très fortement décriées par Hitler, voulait utiliser des chercheurs allemands pour la propagande nazie et pour prouver ses idées : il pensait en effet que des descendants de l’Atlantide avaient migré pour fonder une grande civilisation en Asie centrale. Il proposa son aide à Ernst Schäfer (1910-1992), chercheur allemand qui désirait monter une expédition scientifique au Tibet. Ce brillant zoologue avait déjà participé à deux expéditions organisées en 1930-32 puis en 1934-36 en Chine et au Tibet par l’Américain Brooke Dolan, avec des résultats scientifiques particulièrement remarquables. Schäfer refusa les pseudo-chercheurs que Himmler voulut lui imposer et l’expédition ne fut finalement pas financée par les SS. Toutefois, il conserva le soutien de Himmler.
Après plusieurs refus du gouvernement tibétain, l’expédition de Schäfer au Tibet (1938-1939) fut autorisée à pénétrer au Tibet, atteignit Lhassa le 19 janvier 1939 et y resta deux mois. Schäfer ne put pas rencontrer le XIVème Dalaï Lama, alors âgé de quatre ans : en effet, ce dernier n’avait même pas commencé le long voyage qui, de sa région d’origine (Amdo), l’amena à Lhasa seulement le 8 octobre 1939. En revanche, il rencontra le Régent, Reting Rinpoche. Sur l’insistance du scientifique allemand qui voulait une preuve de son succès, le Régent adressa une simple lettre de courtoisie et quelques présents à Hitler. Malgré cela, il n’y eut jamais de contact officiel entre le gouvernement tibétain et les Nazis. Le fait que Schäfer ne put faire parvenir la lettre du Régent à Hitler que trois ans après son retour suffit à montrer le manque d’intérêt du gouvernement allemand pour le Tibet.
Il semble que L. Dispot ait confondu deux personnages : E. Schäfer, le scientifique d’un côté, et H. Harrer, l’alpiniste de l’autre. Ce dernier quitta l’Allemagne en avril 1939 pour une expédition d’alpinisme au Nanga Parbat (aujourd’hui au Pakistan). Il fut capturé à Karachi, ainsi que tous ses compagnons, par les Britanniques trois jours avant le début de la guerre. Avec un compagnon de captivité, Peter Aufschnaiter, il s’échappa et atteignit Lhassa en janvier 1946. La première entrevue entre H. Harrer et le Dalaï Lama n’eut lieu qu’en 1949. Ils se rencontrèrent ensuite durant un an avec l’autorisation du gouvernement tibétain qui encourageait ainsi l’ouverture du jeune hiérarque sur le monde extérieur, et ses dispositions pour les connaissances techniques. Néanmoins, aucune source n’a jamais fait apparaître H. Harrer chargé d’une mission par Hitler. H. Harrer quitta le Tibet en 1951, à la suite de l’invasion chinoise.
Quoi qu’en dise L. Dispot, l’expédition Schäfer fut scientifique et celle de Harrer, une expédition d’alpinisme. Peut-être l’auteur s’inspire-t-il de mythes propagés depuis les années quatre-vingt-dix par certains groupuscules néo-nazis, mythes que le gouvernement chinois aime à relayer (cf. Beijng Review mars 1998, "Nazi authors Seven Years in Tibet") ? Le texte de L. Dispot, comme tous les autres textes de cette sorte, relève de la théorie du complot. Il n’est pas étonnant qu’au moment des événements tibétains ces idées ressurgissent. Cependant, elles sont infondées scientifiquement.
Sources :
Isrun Engelhardt, "Tibetan Triangle. German, Tibetan and British relations in the context of E. Schäfer’s expedition, 1938-39", Asiatische Studien, LVIII.1.2004.
Isrun Engelhardt (sous la dir. de), "Tibet in 1938-1939 : Photographs from the Ernst Schäfer Expedition to Tibet". Serindia, Chicago, 2007.
Isrun Engelhardt, "Mishandled Mail : The Strange Case of the Reting Regent’s Letters to Hitler". in PIATS 2003. Tibetan Studies : Proceedings of the Tenth Seminar of the International Association for Tibetan Studies, Oxford. (sous presse).
Isrun Engelhardt, "The Nazis of Tibet : A twentieth century myth" in Monica Esposito (ed.), Images of Tibet in the 19th and 20th Centuries. Paris : EFEO, coll. "Études thématiques" (22), 2008, 61-94 (sous presse).
M. Brauen, Dreamworld Tibet, Orchid Press, Bangkok, 2004.
T. Dodin & Heinz Räther (sous la dir. de), Imagining Tibet. Realities, Projections and Fantasies. Wisdom Publication, Boston, 2001.
Anne-Marie Blondeau, Directeur d’études émérite, École pratique des Hautes Études.
Katia Buffetrille, anthropologue, École pratique des Hautes Études.
Heather Stoddard, Professeur, Institut national des langues et civilisations orientales, section Tibet.
Françoise Robin, enseignante, Institut national des langues et civilisations orientales, section Tibet.
Libé a finalement publié l’article ci-dessus en droit de réponse le 6 mai
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