Desmond Tutu fête ses 80 ans avec un invité encombrant sur sa liste : le Dalaï Lama
lundi 3 octobre 2011 par Rédaction
Officiellement à la retraite, l’archevêque Desmond Tutu célèbre le 7 octobre ses 80 ans avec des festivités dont l’ancien génie de la lutte anti-apartheid [1] a su faire un événement ultra-politique en invitant le Dalaï Lama, un hôte encombrant pour l’Afrique du Sud qui tarde à donner le visa.
Trois jours de fête sont au programme, avec en préambule la sortie le 3 octobre d’une biographie : "Tutu : un portrait autorisé" (Tutu : Authorised), co-écrite par Mpho Tutu, la plus jeune fille de l’archevêque et Allister Sparks, 78 ans, grande plume du journalisme sud-africain et témoin privilégié de la lutte de libération des Noirs.
Toujours aussi combatif, Desmond Tutu a planté une belle épine dans le pied du gouvernement sud-africain en invitant le Dalaï Lama. Pretoria est devant un dilemme : ou bien il offense Tutu, considéré avec Nelson Mandela comme la conscience morale du pays, ou bien il froisse les Chinois en acceptant la venue du chef spirituel tibétain dont Pékin s’active à empêcher toutes les visites à l’étranger.
Le président sud-africain Jacob Zuma a affirmé le 3 octobre ignorer si le Dalaï Lama obtiendrait ou non son visa pour l’anniversaire de Desmond Tutu, l’un des héros de la lutte anti-apartheid qui l’a invité.
"Le ministère des Affaires étrangères s’en occupe. Je ne sais pas quelle sera l’issue finale. Je ne crois pas que vous puissiez avoir une réponse précise de ma part", a déclaré le président Zuma en marge d’une réunion d’hommes d’affaires.
En 2009, l’Afrique du Sud du président Jacob Zuma lui avait déjà refusé un visa. Elle avait ensuite indiqué qu’il serait le bienvenu en une autre occasion. Le Dalaï Lama était déjà venu en 1996, accueilli alors par Nelson Mandela, président de la jeune Afrique du Sud démocratique.
L’archevêque anglican a entamé les démarches dès le mois de juin 2011 pour faire venir le Nobel de la paix tibétain à son anniversaire. Depuis le 20 septembre, les autorités sud-africaines n’ont plus qu’à tamponner son passeport, mais les choses traînent.
"Cela jette une lumière négative inutile sur ce qui devait être une fête", déplore à l’AFP Dumisa Ntsebeza, président du Centre Desmond Tutu pour la paix.
"Seule la présence du Dalaï Lama pour qu’il puisse délivrer son message en Afrique du Sud à l’anniversaire de Tutu est acceptable. C’est très malheureux", a-t-il ajouté.
Le Dalaï Lama est censé inaugurer la première conférence internationale Desmond Tutu pour la paix le 8 octobre. La veille, un service religieux sera célébré en la cathédrale anglicane St Georges du Cap où Tutu avait l’habitude de prêcher pour une démocratie transcendant toutes les races, suivi d’un grand pique-nique.
La liste des invités est tenue secrète pour l’instant, mais le Nobel de la paix 1984 ne manque pas d’amis, célèbres et engagés, allant du président américain Barack Obama au rocker irlandais Bono.
Le Dalaï Lama est également censé venir à Johannesburg pour parler de la non-violence le 12 octobre à la grande université de Witwatersrand.
Dans le cas où il ne pourrait pas venir au Cap le 8, la meilleure alternative serait une télé-conférence vidéo s’il est d’accord.
Pour Desmond Tutu, il est la personne idéale, après les événements du printemps arabe, pour "parler du pouvoir et de la nécessité des mesures de paix pour apporter le changement", selon M. Ntsebeza.
"On ne peut pas se contenter de se mettre à genoux, il est temps de nous relever et de dire aux Chinois « merci beaucoup, nous sommes conscients de vos préoccupations, mais cette fois, nous allons délivrer le visa »", a-t-il ajouté.
La grande figure de l’opposition birmane et icône du combat pour la démocratie dans son pays, Aung San Suu Kyi, a critiqué l’Afrique du Sud pour ses atermoiements concernant la demande de visa du Dalaï Lama et son peu d’entrain à soutenir les luttes démocratiques à l’étranger.
"On a parfois l’impression que l’Afrique du Sud, ou plutôt soyons franc,
que les autorités sud-africaines, ne soutiennent pas le combat pour la
démocratie et les Droits de l’Homme avec autant d’enthousiasme que des gens
comme Desmond Tutu", a-t-elle dit lors d’une vidéo-conférence à l’université
de Johannesburg.
Les Sud-africains sont "notre âme sœur, nos frères et sœurs, passés par
les mêmes combats que nous maintenant. Mais ce serait tellement bien si ceux
qui ont réussi à surmonter leurs propres problèmes se rappelaient de ceux qui
se battent encore pour surmonter les leurs", a-t-elle ajouté.
Une veillée de protestation est prévue le 3 octobre au soir au Cap pour réclamer le droit pour le Dalaï Lama de s’exprimer en Afrique du Sud.
Une pétition a été mise en ligne par International Tibet Network pour demander au Ministre des Affaires étrangères ("relations internationales") de délivrer un visa au Dalaï Lama pour cette visite en Afrique du Sud. |
Source : AFP, 2 et 3 octobre 2011
Complément d’informations le 4 octobre 2011
Le centre Desmond Tutu pour la paix, qui attendait le Dalaï Lama pour une conférence au Cap, a qualifié de "jour le plus sombre" pour l’Afrique du Sud après l’annulation le 4 octobre de ce voyage faute de visa.
"Je n’ai même pas de mots pour dire combien je me sens triste. C’est le
jour le plus sombre. Nos autorités n’ont même pas pris la peine de répondre à
la demande" de visa, a déclaré une porte-parole Nomfundo Wazala.
De son côté, le porte-parole du ministère sud-africain des Affaires
étrangères, Clayson Monyela, a déclaré que "malheureusement, il (le Dalaï
Lama) avait décidé d’annuler son voyage, c’est sa décision et nous en avons
pris note".
"L’original du passeport a été déposé seulement le 20 septembre, date
faisant foi pour la demande complète du visa", a-t-il ajouté. [2]
"Un visa retardé équivaut à un refus de visa", a rétorqué le député
d’opposition Stevens Mokgalapa (Alliance démocratique), qualifiant l’attitude
du gouvernement sud-africain "d’inacceptable".
"En retardant sa décision, il a fait son choix. Il a permis à la Chine de
lui dicter sa politique étrangère. C’est un jour triste pour ceux qui comme
nous croient en une politique étrangère souveraine fondée sur l’ubuntu [3] et les Droits de l’Homme", a-t-il ajouté.
Le prix Nobel de la paix sud-africain Desmond Tutu a estimé que l’actuel gouvernement de son pays était pire qu’au temps de l’apartheid, après le refus de visa opposé au Dalaï Lama.
L’ancien archevêque anglican, devant la presse, a tracé un parallèle avec
le régime raciste de l’apartheid : "Vous savez que quand on demandait un
passeport au gouvernement de l’apartheid, on ne savait jamais jusqu’au dernier
moment si on l’obtiendrait ou pas". "Notre gouvernement est pire que le gouvernement de l’apartheid, parce qu’au moins à l’époque on pouvait s’y attendre".
"Je ne peux pas y croire. Je ne peux vraiment pas y croire", a dit Desmond
Tutu en apprenant la nouvelle de l’annulation du voyage du Dalaï Lama.
"Il va falloir que vous me réveilliez et que vous me disiez que ça se passe
ici, pour de vrai", a-t-il lancé, partagé entre ironie amère et véritable colère. "Ce manque de courtoisie envers le Dalaï Lama est incroyable. Le Dalaï
Lama ! Ailleurs dans le monde, partout où il va, on n’arrive pas à trouver des
sites assez grands pour accueillir les foules qui veulent le rencontrer".
Source : AFP, 4 octobre 2011
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[1] Considéré comme la conscience morale de l’Afrique du Sud, Desmond Tutu a contribué à défaire l’apartheid avant de mettre sa verve au service de la réconciliation raciale dans son pays et de la paix sous toutes les latitudes.
L’ancien archevêque anglican du Cap, prix Nobel de la paix 1984, a gagné l’affection de ses concitoyens avec son humour, son humilité et son énergie débordante. N’hésitant pas à rire, à danser ou à pleurer en public, Mgr Tutu a également le sens de la formule qui fait mouche.
Sous le régime de la minorité blanche, il avait organisé plusieurs grandes marches pacifiques au Cap pour dénoncer la ségrégation et milité pour l’adoption de sanctions économiques internationales.
A l’avènement de la démocratie en 1994, celui qui a donné à l’Afrique du sud son surnom de "Nation arc-en-ciel" a présidé pendant 30 mois la Commission réconciliation et vérité (TRC), créée pour aider à tourner la page des atrocités de l’apartheid. "Le ressentiment et la colère sont mauvaises pour la pression sanguine et la digestion", lançait-il alors.
Un cancer de la prostate, diagnostiqué en 1997, a failli mettre un terme à sa carrière, mais cet homme d’une vitalité débordante ne s’est retiré de la vie publique qu’en 2010.
Il garde un pied dans la politique à travers son Centre pour la paix et au sein du groupe The Elders (les Sages), unissant d’anciens dirigeants au service de la paix.
En août, il a suscité la polémique en suggérant de créer une petite taxe imposée uniquement aux Blancs car ils "ont profité de l’apartheid".
Il a aussi présenté des excuses aux homosexuels pour la souffrance causée par les enseignements de l’Eglise anglicane. Et ces dernières semaines, il a embarrassé le gouvernement de Pretoria en invitant le Dalaï Lama à son anniversaire, deux ans après un refus de visa.
Doté d’un humour impitoyable, souvent dirigé contre lui-même - il moque son gros nez ou sa petite taille -, il est entre-temps devenu le pourfendeur des dérives de la nouvelle Afrique du Sud.
Il a ainsi critiqué publiquement les errements de l’ex-président Thabo Mbeki dans la lutte contre le sida ou les déboires judiciaires de Jacob Zuma avant son accession à la tête de l’Etat. Mgr Tutu n’a jamais été membre de l’ANC, le parti au pouvoir depuis 1994.
L’ancien prélat a également interpellé ses compatriotes sur la violence de la société, regrettant qu’elle ait "perdu le sens du bien ou du mal" et défendu les immigrés lors des violences xénophobes de 2008 en Afrique du Sud.
Tout aussi actif sur la scène internationale, on l’a vu sur plusieurs théâtres de conflits : République démocratique du Congo, Soudan, Kenya, Palestine...
Plus près, il a dirigé ses attaques contre l’indéboulonnable président zimbabwéen Robert Mugabe, qu’il a notamment comparé à "Frankenstein". Lequel a rétorqué en le taxant de "méchant petit homme en robe".
Né le 7 octobre 1931 à Klerksdorp, à une heure de Johannesburg, Desmond Tutu a souffert enfant de poliomyélite. Marqué par cette expérience, il souhaitait devenir médecin mais sa famille ne pouvait pas payer ses études.
Il devint alors professeur, avant de démissionner pour protester contre l’éducation de moindre qualité réservée aux Noirs et décidé d’entrer au séminaire, "par défaut" plus que "par idéal" selon une biographie autorisée.
Ordonné prêtre à 30 ans pour l’Eglise anglicane, il a étudié et enseigné en Grande-Bretagne et au Lesotho avant de s’établir à Johannesburg en 1975.
De plus en plus visible sur la scène anti-apartheid, il a été l’objet de brimades du régime, mais ses habits religieux lui ont permis d’être épargné.
Nommé archevêque en 1986, il devint le premier Noir à la tête de l’église anglicane sud-africaine.
Desmond Tutu est marié depuis 1955 à Leah, dont il a eu quatre enfants et à laquelle il ne manque jamais de faire référence.
[2] NdR : la demande de visa a en fait été déposée en juin 2011, mais courant septembre, n’ayant pas de nouvelles, les services tibétains ont demandé des précisions, et le gouvernement sud-africain a répondu qu’il n’avait pas trace de la demande. Les services du Dalaï Lama ont donc déposé une nouvelle demande de visa le 20 septembre.
[3] Ubuntu : esprit d’ouverture et de disponibilité aux autres. Ubuntu signifie également "Humanité" ou "Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous".
C’est d’ailleurs cet "état d’esprit" qui a donné naissance au système d’exploitation Linux Ubuntu, réalisé par des bénévoles.
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