Après la disparition de Nelson Mandela
dimanche 8 décembre 2013 par Rédaction , Jean-Paul Ribes
- Nelson Mandela
- Photo Commons
Les qualités les plus éminentes et les plus généralement saluées chez Nelson Mandela [1], sa capacité de réconciliation, c’est-à-dire au dépassement de la rancœur et de l’esprit de vengeance, se projettent pour nous dans l’avenir.
Qu’après vingt-sept ans passés en prison [2], et pas n’importe laquelle [3], on puisse rencontrer son bourreau, discuter avec lui et finalement parvenir à un engagement équitable, cette faculté est évidemment assez rare, quand elle est authentique, dans le monde politique.
Elle me remet en mémoire cette anecdote racontée il y a quelques années, par le Dalaï Lama, lors d’une rencontre.
| J’ai reçu la visite récemment d’un très vieux moine qui arrivait tout juste du Tibet, après trente ans passés dans les geôles chinoises. Brusquement, alors qu’il me raconte les tourments qu’on lui a fait endurer, je le vois éclater en sanglots.
- N’ayez pas peur, ici vous êtes en sécurité, il ne peut rien vous arriver ! - Ce n’est pas cela qui m’inquiète - Mais alors ? - Parfois, j’ai peur de perdre ma compassion pour ceux qui m’ont torturé ! |
Se réconcilier, c’est bien pardonner l’offense, surmonter la souffrance du passé.
Ce n’est pas une chose aisée.
Un texte du Dalaï Lama, traduit et publié il y a longtemps déjà, donne des lignes de conduites.
En version originale, il s‘appelle "Embracing the ennemy" [4]
Les premiers prisonniers politiques que j’ai rencontré à Dharamsala m’ont tous profondément impressionné par leur capacité à effacer la haine, à surmonter le ressentiment.
Même impression lorsque nous avons reçu ici même Palden Gyatso [5], témoignant de plus de trente ans passés dans les camps chinois.
La disparition de Mandela a été saluée par Xi Jinping avec cette formule : "Le peuple chinois gardera toujours en mémoire les extraordinaires contributions qu’il a apportées au développement de l’humanité".
Est-il prêt à mettre en pratique cette "contribution" ?
Aura-t-il le culot d’assister aux obsèques de Mandela aux côtés du Dalaï Lama, d’entamer le dialogue avec lui ? [6]
De libérer Liu Xiaobo, Prix Nobel de la Paix, qu’il retient dans ses geôles, comme de Klerk a libéré Mandela ?
Et à qui pense François Hollande lorsqu’il affirme que Mandela reste l’inspiration de tous les peuples qui luttent pour leur liberté et leur émancipation ?
Nous saurons le lui rappeler.
Car une fois terminé le temps des hommages, nous savons qu’il nous faut poursuivre notre combat.
Avec les mêmes valeurs...
Les résistants Tibétains qui aujourd’hui offrent leur vie pour la liberté de leur pays [7], au lieu de prendre celles des hommes armés qui les oppriment, seront-ils enfin entendus ?
L’exemple de Madiba [8] et de l’Afrique du Sud, objet de tant de louanges, a-t-il une chance de se montrer contagieux ?
Jean-Paul Ribes
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[1] Nelson Mandela, né Rolihlahla Mandela le 18 juillet 1918 et renommé Nelson par sa première institutrice, est décédé le 5 décembre 2013.
[2] Nelson Mandela, avec 5 autres dirigeants de la branche militaire de l’ANC, a été condamné le 12 juin 1964 à la prison à vie (après une première condamnation le 5 août 1962 à 5 ans de prison) lors du procès de Rivonia. Il en ressortira suite aux pressions internationales le 11 février 1990. Il sera élu premier Président noir de l’Afrique du Sud le 27 avril 1994 et prendra ses fonctions le 10 mai 1994, après avoir reçu conjointement avec Frederik de Klerk le Prix Nobel de la Paix le 10 décembre 1993.
[3] Il s’agit de la prison de Robben Island ("l’ile aux phoques"), à 25 km environ du Cap, dans la Baie de la Table, où ont été internés 3 futurs présidents sud-africains : Nelson Mandela, Kgalema Motlanthe et Jacob Zuma.
[4] Voir le texte en anglais sur le site de l’Administration Centrale Tibétaine, la version française étant disponible dans l’ouvrage "Tibet, les journalistes témoignent", de P-A. Donnet, G. Privat, J-P Ribes, Editions L’Harmattan, mars 1992, P. 167. ISBN 2-7384-1314-5.
En ligne (partiellement) sur Google Books. NB Faire défiler une page plus bas que la réponse de Google pour voir le texte !
[5] Palden GYATSO - Le feu sous la neige - Mémoires d’un moine tibétain
Le témoignage de Palden Gyatso est l’un des récits de souffrances et d’endurance les plus extraordinaires qui soient. Ce moine, âgé de vingt-huit ans lors de son arrestation, au tout début de l’occupation du Tibet par les Chinois, ne fut libéré qu’en 1992, alors qu’il avait presque soixante ans.
Durant ses trente-deux années d’incarcération, Palden Gyatso subit la torture, la famine ainsi que d’interminables séances de "réforme de la pensée". Il refusa néanmoins de céder à ses oppresseurs. (…)
"Le Feu sous la neige" offre un aperçu vivant de l’histoire récente du Tibet depuis l’invasion de 1949-1950. Palden Gyatso y évoque les terribles années de la révolution culturelle en faisant preuve d’une compassion profonde pour tous ceux qui ont souffert comme lui. (…)
Son compte rendu aidera ceux qui le liront ou l’entendront (à l’occasion de ses conférences) à comprendre la manière dont les structures et les traditions d’une ancienne civilisation bouddhique ont été brutalement anéanties. (…)
"J’attends avec impatience le jour où le Tibet redeviendra un pays en paix dont tous les habitants vivront ensemble en harmonie. Nous n’y parviendrons pas tout seuls, et s’il n’a rien prouvé d’autre, Palden Gyatso a démontré que nous ne sommes pas impuissants et que, même individuellement, nous pouvons changer le cours des choses. J’ai donc bon espoir que son exemple inspire ses lecteurs au point qu’ils accordent leur soutien bienveillant à la cause tibétaine".
(Sa Sainteté le Dalaï Lama - Extrait de la préface)
Editions Actes Sud, oct. 1997, 320 pages, 22,56 €
ISBN 978-2-7427-1358-5
[6] Note : la réponse est semble-t-il déjà) fournie : le Dalaï Lama renonce à se rendre en Afrique du Sud, sous la pression chinoise selon toute probabilité.
[7] Voir l’article sur l’ouvrage de Woeser ""Immolations au Tibet : la honte du monde", de Tsering Woeser", du 20/10/2013.
[8] Est-ce encore nécessaire de rappeler que "Madiba" est le nom de Nelson Mandela pour son peuple Xhosa ?
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