COMITE DE SOUTIEN AU PEUPLE TIBETAIN
Paris, le 1er juillet 1999
A M. Jean-Michel Séverino
Vice-Président Région Asie Orientale et Pacifique
Fax : 00 1 202 477 01 69
Monsieur le Président,
Nous vous remercions de la réponse que vous avez adressée à notre lettre vous indiquant les raisons de notre opposition au projet de déplacement de 58 000 colons dans la zone de Tulan. Nous l'avons lue avec la plus grande attention. Cette réponse, ainsi que le vote intervenu le 24 juin, ne nous ont pas convaincu du bien fondé de ce projet. Ses aspects contestables demeurent tellement évidents que la majorité des administrateurs a décidé de bloquer les fonds jusqu'au résultat d'une enquête complémentaire par une équipe indépendante. Parmi les éléments qui nous conduisent à exprimer notre opposition résolue à ce projet, nous vous précisons :
1) Qu'il n'est pas conforme aux statuts et à la mission de la Banque Mondiale d'intervenir là où un projet risque de porter atteinte à un équilibre ethnique, culturel ou environnemental. Indubitablement, les chiffres que vous nous avez communiqués confirment le caractère déséquilibrant de ce projet.
2) Nous doutons fort que les centaines d'ha "de terres arables", nécessitant une irrigation, ne portent atteinte aux droits ancestraux et communautaires des pasteurs tibétains et mongols. Il s'agirait alors, sans le dire, d'une atteinte manifeste au mode de vie de ces nomades au profit, à terme, d'une sédentarisation forcée.
3) Il est tout à fait inexact de dire que les populations locales "parlent exclusivement mandarin". De nombreuses études nous apprennent qu'elles parlent des dialectes issus du Tibétain. Certes, peu ou pas d'experts de votre organisation ne connaissent ces langages. Ils ne peuvent donc communiquer avec les populations locales que par l'intermédiaire de traducteurs chinois ou tibétains, salariés du gouvernement. Cela vous interdit toute consultation véritable. Nous avons, pour notre part, pris connaissance de messages, qui vous ont été transmis par une O.N.G. - International Campaign for Tibet - indiquant l'opposition des éleveurs tibétains au projet.
4) Il est évident que les ressources énergétiques nécessaires à la survie des colons seront inévitablement prélevées, au moins provisoirement, sur l'environnement local, notamment sur les maigres ressources forestières épargnées par les nomades, qui utilisent plus volontiers la bouse de yack comme combustible domestique. D'autre part, la mise en valeur des terres et l'utilisation d'engrais chimiques constituent une menace pour les pâturages, jusque là réputés de rotation lente.
5) Vous ne semblez avoir reçu aucune garantie sur la non utilisation du personnel servile retenu dans les laogaïs, nombreux dans la région. Vous nous affirmez en effet "The Bank believes that the project will neither use nor benefit the prison farm". Ceci est bien sûr très insuffisant.
Comment vous donnerez-vous les moyens de constater qu'il en est ainsi ?
Qui empêchera les autorités locales d'utiliser les bagnards à la construction d'infrastructures (routes, canalisations) qu'il sera aisé de présenter comme distincts du projet proprement dit ?
6) Nous avons été extrêmement choqués, enfin, par l'attitude des autorités chinoises, effectuant des pressions politiques, menaçant la Banque Mondiale et ceux qui, s'inquiétant de ce projet, commettent, selon ces autorités "une ingérence dans les affaires intérieures" de ce pays. Cela en dit long sur la sincérité des moyens de contrôle qui seront mis à votre disposition.
Permettez-nous de formuler encore une fois le souhait très résolu que ce projet soit clairement abandonné. D'autres actions, utiles à la préservation ou au développement des moyens de vie des populations tibétaines, seraient en revanche tout à fait opportunes et ne présenteraient pas ce caractère ambigu qui pourrait faire dire, dans l'histoire, que la Banque Mondiale, en 1999, a participé à la colonisation et à l'ethnocide d'un peuple.
Respectueusement
Le Président
JP Ribes
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